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Avril 1964 à juin 1964
Avril 1964
[Le service comme motif conduit au vrai sentier - le devoir peut être accompli d’un réel point de vue intérieur - la philosophie ésotérique révèle que cette existence a un sens - faire de chaque déception une opportunité de pratiquer le détachement - dans chacune des phases de la vie de veille, la lumière peut illuminer.]
A propos, maintenant, du noble motif qui est le vôtre de servir les Maîtres : c’est une belle chose, c’est un bon point de départ. Sans le service, la vie spirituelle peut aboutir à ce que le Bouddha a dit à propos du Bhikkhu[1] éclairé qui, tout en vivant, va dans le monde comme un rhinocéros solitaire et qui, lorsqu’il abandonne son corps physique, devient un Bouddha égoïste qui se plonge dans la paix du Nirvana pour une longue période d’années. Le service comme motif conduit au vrai sentier – celui du Renoncement, et c’est une bonne chose que vous ayez ce motif dans votre conscience.
Votre décision ne manque pas de sagesse – trouver un travail professionnel, poursuivre votre étude de la Théosophie, faire votre possible pour vivre votre vie intérieure, tout en contactant le monde extérieur avec une nouvelle attitude que vous apporte la Théosophie. Madame Blavatsky a écrit quelque part ce qui suit dans une lettre à Judge : « De quoi s’agit-il quand vous parlez du ‘soldat qui n’est pas libre’ ? Bien sûr, aucun soldat ne peut avoir la liberté d’aller où il veut avec son corps physique. Mais qu’est ce que l’enseignement ésotérique a à faire avec l’homme extérieur ? Un soldat peut être collé à sa guérite de sentinelle comme un coquillage à son bateau et l’Ego de ce soldat être libre d’aller où il veut et de penser ce qu’il aime le mieux… Il n’est demandé à personne de porter un fardeau plus lourd qu’il ne le peut, ni de faire plus qu’il ne lui est possible ».
Ceci vous apporte une bonne base pour votre propre vie. Dans la perspective que vous envisagez, votre tâche sera, par ordre d’importance, de commencer par développer en vous-même un centre de conscience, en vous aidant de l’étude Théosophique, et de profiter de l’existence de votre Loge pour offrir vos services à la Cause du mieux que vous pourrez. En second lieu, de gagner votre vie afin que vous puissiez jouir de votre existence sans dépendre de personne, dans l’attente de tout ce que Karma pourra vous apporter dans le futur. Si vous vivez en vous-même, les événements extérieurs prendront allure et forme selon un modèle propre et, en chaque circonstance, vous aurez une opportunité d’apprendre et de croître. En troisième lieu, vous remplirez votre devoir envers votre mère souffrante, particulièrement lorsque votre sœur sera amenée à quitter le foyer et que votre mère se retrouvera toute seule. Pendant tout le temps où vous accomplirez votre devoir envers elle, envers vos employeurs et vous-même, ne perdez pas de vue que tout cela peut être accompli d’un réel point de vue intérieur. Si vous ne subvenez pas financièrement à vos besoins, il vous faudra gagner votre vie mais, là encore, l’une des étapes de l’Octuple Noble Sentier du Bouddha se trouve dans la façon parfaite de gagner sa subsistance [samyagajîva].
J’espère que dans cette lettre vous trouverez de l’aide et de quoi vous guider. Je vous envoie mes salutations et mes meilleurs vœux pour le succès à votre examen et dans vos efforts pour vous orienter dans la plus grande des vies qui vient du service de la plus grande des causes.
C’est une bonne chose d’apprendre que vous avez ressenti une sorte de divine insatisfaction pour un passé récent ; c’est en soi un bon signe, même si cela marque souvent une période d’inconfort, du point de vue psychologique. Vous vous souviendrez du beau poème de Herbert intitulé : « The Pulley » [la Poulie] où cette divine insatisfaction est citée comme le dernier ingrédient mis par Dieu dans la fabrication de l’homme. Bien sûr, l’allégorie renferme beaucoup de vérité. Hommes et femmes, dans leur nature animale (bonne et mauvaise), vont sans l’étincelle qui les stimulerait à une vie meilleure. La reconnaissance de la véritable signification de l’existence soi-consciente accompagne cette divine insatisfaction. Si notre philosophie ésotérique fait quelque chose de plus que toute autre, c’est le privilège qu’elle apporte de révéler que cette existence a un sens, que toutes les choses, bonnes et mauvaises, ont un sens et qu’il y a un but et un objectif vers quoi nous pourrions nous diriger de façon délibérée. C’est donc, pour vous, comme une bonne fortune d’avoir pu percevoir tout le sens de la vie au milieu de cette insatisfaction.
Il n’est pas difficile de sentir combien votre vie est pleine – foyer, mari, enfants ; Loge et Service. Mais dans chacune des phases de notre vie de veille, la Lumière peut nous illuminer. La Gîtâ évoque l’ « Eternel Ennemi de l’Homme » sous la triple forme de Désir, Colère et Convoitise [chap. III, 37-39, et XVI, 21] ; mais elle enseigne aussi qu’il y a un Eternel Ami de l’Homme, dans le corps lui-même. Le corps a un aspect créateur dans chaque organe, et par son intermédiaire ; il a aussi un aspect préservateur car il contient des atomes de vie qui sont des véhicules de bienfait, du bien que nous avons accumulé dans des vies passées ; il y a aussi l’aspect de la force destructrice qui est double – selon qu’elle donne la mort ou la vie, en étant régénératrice. Ainsi donc, toutes les actions et paroles qui sont les nôtres, par l’effet du souvenir et du rappel à la mémoire, peuvent devenir des véhicules rythmiques de paix et de lumière, pour nous et tous ceux qui sont concernés. Nous ne sommes pas seulement de misérables pécheurs, même si chacun de nous porte l’empreinte ou la marque de ses crimes et péchés passés ; nous sommes des Dieux en train de s’épanouir avec le pouvoir à notre discrétion – le pouvoir de la pensée et de la volonté, des aspirations. Chacune de nos ambitions, si nous la comprenons, peut devenir une aspiration. Ici et maintenant, nous avons des opportunités de pratiquer – cela à chaque heure. Le point difficile, est notre mémoire ; il nous faut apprendre à nous souvenir et ainsi à mettre la mémoire à notre service. Mais la mémoire de quoi ? De la Grande Sagesse Esotérique ; et avec cela il y a en nous l’aspect assimilé de cette Sagesse qui agit comme Réminiscence. Je m’étends ici un peu sur cet important principe parce que son application fait la joie de la vie ; vivre est devenu un tel fardeau pour tant de gens ! Juste application signifie juste tentative, et cela est créateur.
Quand aux déceptions : elles nous accompagnent toujours. Il y a une façon ésotérique correcte de les traiter : « Ne regrettez rien », a dit Judge ; mais à moins de vivre la vie de discipline divine, nous allons devenir paresseux et insouciants. Cependant, si nous agissons en raison d’une meilleure compréhension de Karma et faisons de chaque déception une opportunité de pratiquer le Détachement – la Pâramitâ Virâga – nous en tirerons un grand bénéfice. Soyez calme dans votre mental et cela développera la compréhension en raison de l’amour qui est dans votre cœur. Nous ne pouvons pas produire de l’amélioration chez les autres ; nous pouvons seulement les aider à réaliser leur propre amélioration. Il faut obtenir la connaissance, puis l’appliquer. Mais ne cherchez ni n’attendez les déceptions ; et aussi quand d’agréables encouragements se manifestent, réjouissez-vous et soyez reconnaissant.
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Mai 1964
[Impersonnaliser les sentiments, les purifier, les élever – en soi-même se trouve le Grand Feu Immuable –
J’aimerais que vous vous rendiez compte que la première tâche consiste à devenir, et que faire devrait tendre à cet objectif suprême de devenir. Êtreté, Devenir, Être, telle est la triade métaphysique. Dans le règne humain, l’Âme croît par entreprises délibérées. Jusqu’à présent, notre mental a été exploité par des désirs, bons et mauvais, égoïstes et altruistes ; mais, sous les deux aspects, il est personnel – c’est là le point le plus important. Dans une mesure de plus en plus grande, votre effort devrait viser à impersonnaliser vos sentiments, c’est-à-dire à utiliser nos Enseignements en vue de purifier et élever les sentiments. Le livre de Crosbie, The Friendly Philosopher, énonce à ce sujet la meilleure prescription que je connaisse. Etudiez-le.
Ne soyez pas anxieux, tourmenté ou concerné par les choses. En vous-même se trouve le Grand Feu Immuable, et il ne va pas manquer de rayonner à un moment, pour s’affaiblir ensuite, et rayonner de nouveau. La Sagesse-Lumière et la Compassion-Chaleur du Feu disperseront tous les défauts, doutes et hésitations. Vivez à l’intérieur de vous-même. Problèmes et difficultés ne manqueront pas d’apparaître, mais, avec un calme toujours présent, vous sentirez sûrement le Pouvoir du Feu. Sa flamme qui monte ira rencontrer la langue de Feu Manasique Supérieur qui vient d’en haut ; ainsi donc, faites que votre Feu monte haut, sans à-coups, et fermement.
Le courage au milieu de ses propres soucis, comme la bonté envers les autres quand ils sont en difficulté – telle est toujours la bonne attitude. Mais le courage devrait toujours s’accompagner de calme. Ici encore, souvenez-vous des mots de la Gîtâ : « Avec un calme toujours présent. ». Mais qu’est-ce qu’implique ce calme ? C’est le fait que l’Ego tienne les rênes de quelque façon et qu’il s’exprime toujours de manière délibérée – enraciné dans la Connaissance.
Je ne comprend pas très bien ce que veut dire « sobre et joyeux, etc… » à quoi vous faites référence. Je suis très heureux, bien que très occupé, et aussi joyeux. Je suis pressé par le temps car il y a tellement à faire, et les gens veulent voir leurs problèmes personnels résolus et leurs difficultés personnelles écartées, et, en tout cela, le temps s’envole. Pour les deux années à venir, le programme comporte travail – efficacité ; exécution résolue du devoir ; une attitude positive, courageuse, non sentimentale ; confiance en soi et humilité ; les principes mis seuls en avant, toute personnalité étant tenue à l’écart – tels sont quelques-uns des points importants. N’entendez-vous point le cri du monde ? Il déchire le cœur, et il faut être si patient et aimant envers ceux qui sont blessés, et ceux qui sont affligés en esprit, que la moindre manifestation d’égotïsme, et de sens du « moi » - même légère - m’apparaît comme une gâchette mortelle. Cela gâte mon travail et je n’ai pas le temps d’expliquer, ou de persuader. Ainsi, faites ou partez, et laissez les gens qui le peuvent faire seuls le travail. Voilà mon attitude. Mais je suis très heureux. Je pense que je vais devoir écrire un livre : « Comment être heureux tout en étant très occupé ? ».
Nous sommes tous des personnes qui nous trouvons dans un état de soi-conscience auquel nous ne répondons pas de façon uniforme. Nous le perdons en étant inattentifs. La plupart de nos actes sont instinctifs et impulsifs. C’est seulement occasionnellement que nous devenons pleins de pensée et de volonté. C’est si souvent que les hommes perdent leur humanité. Même aujourd’hui, la plupart des membres de la race humaine sont bons ou mauvais, par instinct et par impulsion, respectivement. Quand la connaissance de la Théosophie, représentée par les 9 Pouvoirs, Shakti, ou Muses, est pratiquée parce que l’homme s’est étroitement associé à la connaissance, alors commence l’état de Chéla – la pratique du sva-dharma, qui implique une juste guerre, le Dharma-yuddha du second chapitre de la Gîtâ [v. 31].
La dévotion croît par degrés, et il y a différentes sortes de dévotion. Il n’y a pas que la concentration du mental, il y a aussi celle du cœur. Il vous fait cultiver le cœur, impersonnaliser les affections et toutes les émotions. Essayez de vous trouver avec votre propre Manas-Taijasa[2], approfondissez votre effort pour trouver Buddhi, à la fois comme un pouvoir actif et comme l’enveloppe d’Âtma. Considérez le pouvoir que possède un diamant de briller. Il y a, d’une part, une substance – du carbone, essentiellement – et, d’autre part, la lumière que reflète la substance du diamant. « Connais-tu du Soi les pouvoirs ? » [Voix du Silence, p. 76] Considérez la nature de votre âme et ses pouvoirs. Cela oblige à s’écarter de l’aspect personnel, mondain, Ahamkârique. Les Grands Etres sont les Veilleurs cachés qui, à la fois, testent et protègent. Ils ne désirent pas nous voir échouer mais bien nous amener à passer l’examen. Ainsi donc, vous n’avez pas à avoir peur le moins du monde. Ayez confiance dans le cœur et gardez votre mental humble ; il ne peut manquer de devenir humble en la présence de l’Océan de Connaissance – la contrepartie spirituelle de l’Océan de Samsâra.
Emotionnalisme n’est pas Dévotion véritable. Mais la Dévotion est effectivement un sentiment ; c’est une Intuition Divine ; l’une de ces Idées Innées qui ne peuvent être détruites. En chacun de nous, elle est recouverte, et, à présent, dans sa manifestation ordinaire, elle ne peut montrer sa vraie couleur, en raison de l’égoïsme personnel. Comme le montre le 12ème chapitre de la Gîtâ, le véritable fidèle est équilibré dans l’amour et l’assistance aux autres, et il est actif dans toutes les vertus. Rappelez-vous ces lignes de Shelley évoquant « le désir de l’insecte pour l’étoile, de la nuit pour le matin ; la dévotion éprouvée pour quelque chose qui est loin de la sphère de notre chagrin ». Ce sont là de belles paroles.
Lisez également le passage de La Doctrine Secrète sur la naissance de la Dévotion [vol. I, p. 210] et notez les mots de Carlyle cités par H.P.B.. C’est un très beau passage.
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Juin 1964
[Il existe en chacun un dompteur, une entité spirituelle capable de maîtriser et ajuster la personnalité – l’orgueil a bien des aspects – les doutes sont de deux espèces – il existe plusieurs types de Gardiens de seuil – les sens intérieurs se répartissent en deux séries – il existe deux formes de conscience morale – atteindre la position où brille pleinement la lumière du Soleil Spirituel – l’état de chéla est une attitude mentale.]
La connaissance de la philosophie Théosophique est très nécessaire, et j’aimerais que vous utilisiez ces doctrines et enseignements pour prendre vos propres décisions en ce qui concerne votre avenir. C’est une bonne chose d’apprendre votre impression que votre personnalité commence maintenant à être domptée par vous ; ici, la première chose qu’il vous faudrait noter, avec grand soin, c’est qu’il existe en vous un dompteur, une entité spirituelle capable de maîtriser et ajuster la personnalité.
Nous ne pouvons échapper à avoir de l’égotisme car la nature inférieure de Krishna [cf. Gîtâ chapitre 7], dont nous tirons notre propre nature inférieure, compte comme l’un de ses constituants – Ahamkâra. C’est le pouvoir qui donne le sens du « moi » ; cependant il n’en reste par là : il dégénère en Arhiman [= le pouvoir du Mal opposé à Ormuzd]. H.P.B. souligne qu’il existe trois sortes d’Ahamkâra – l’aspect personnel, individuel, et purement spirituel. Le plus bas, pris dans la matière grossière, produit la séparativité. La notion de soi séparé à la vie dure ; c’est la racine qui produit l’idée du dieu personnel.
On dit souvent des personnes timides (introverties) qu’elles sont orgueilleuses, en raison de leur réserve. Bien sûr, personnalité implique orgueil ; égoïté implique égotisme, et nous tous avons en nous l’orgueil qui, selon la psychologie bouddhique, est la dernière chose à disparaître. Vous devez vivre votre vie en vous-même et aller calmement de l’avant. S’en tenir tranquillement à ses propres convictions, ce n’est pas de l’orgueil ; mais cela ennuie les gens qui ont tant d’orgueil qu’ils insistent pour que vous abandonniez vos convictions et adoptiez les leurs. Souvent, une modestie de parade passe pour de l’humilité. La modestie de parade, pour ainsi dire, vocifère ; l’humilité rayonne en silence. C’est souvent un complexe d’infériorité qui se laisse aller à cette modestie de parade. Comme Uriach Heep était humble ! Je ne pense pas que vous ayez à vous faire de souci sur ce point d’humilité et d’orgueil. Poursuivez simplement votre étude et votre sacrifice en silence, sans en rien montrer.
L’orgueil a bien des aspects. Ce que vous dites de l’orgueil qui nous aveugle sur nos fautes et faiblesses est correct. L’hypocrisie est liée à la connaissance – nous savons, et pourtant, nous disons que ce que nous savons n’est pas vrai. Ici, la Pâramitâ Shîla est absente ; il se produit une sorte de bifurcation dans la conscience elle-même. L’attention (voir le chapitre 2 du Dhammapada) est ici l’antidote. Mais il existe une hypocrisie non soi-consciente, et celle-là doit être vaincue par la bonté et l’humilité.
Les doutes sont de deux espèces ; il y a le doute bon et valable, dont parle Robert Browning dans son « Rabbi Ben Ezra » (je vous recommande de le lire, c’est un beau poème philosophique) ; la seconde espèce de doute est « impardonnable ». Vous savez en votre conscience que telle et telle chose est un fait réel ; connaissant cela, vous vous mettez à douter. Supposez que vous voyiez un Guru ; une fois qu’il a disparu, le doute vous assaillie et vous restez dans ce doute. Il devient un péché.
Nous pouvons bien (et devrions souvent) douter de nos croyances (« voir, c’est croire », et c’est là tout ce qu’est une vision superficielle), mais ce qui constitue notre conviction, et qui provient de connaissance et raison, devrait engendrer non pas le doute mais une ardente recherche. Questionnement sincère n’est pas doute. Comme Judge nous l’indique, le doute appartient toujours à l’homme inférieur, au mental-désir qui tend vers la dureté de tamas, au lieu de s’élever vers le rythme de Sattva.
Ce que vous dites du présent cycle est vrai, mais vous ne devez pas laisser les doutes pénétrer votre cœur. Le fait dont il faut vous souvenir c’est qu’il y a certaines choses qui sont des matières de profondes conviction et foi pour vous. Ainsi donc, si, par votre étude et votre réflexion, vous en êtes venu à la conviction que l’homme est une âme immortelle engagée dans le processus de son épanouissement, que l’évolution de cette âme se fait par Réincarnation et Karma, que la Loi est juste et que Karma opère infailliblement, et toujours selon une spirale ascendante – si telles sont vos convictions, il doit s’ensuivre naturellement cette autre conviction que votre existence a un sens et un but, et donc qu’il faut comprendre ce sens et atteindre ce but.
Cela étant, la seule chose que nous puissions faire est d’appliquer les paroles de Judge et d’accroître notre foi en ce que nous savons être vrai, en laissant nécessairement le reste se produire en suivant son cours, et en ayant confiance que la loi de Karma opèrera les ajustements nécessaires. Ainsi donc, il ne sert à rien d’être découragé ; il est bien plus important pour vous de purifier et clarifier votre nature, vos perceptions mentales dans les activités de la vie.
Ce que vous décrivez comme votre expérience, ce n’est pas le Gardien du Seuil, qui n’est encore qu’en formation. Vous vous êtes séparé de vos faiblesses avec l’aide de vos aspirations, et le rassemblement de ces faiblesses est en train de se faire. Quand ce processus sera achevé, ce sera Pâpa-Purusha [= L’homme de péché], le mauvais Gardien. Mais nos aspirations, avec notre effort en vue de vivre la vie supérieure, commence également à prendre forme – comme Punya-Purusha [= L’homme de mérite]. Alors, avec l’aide et la force de ce dernier, nous devenons capables d’éjecter le premier de nous-mêmes.
Dans la suite, il vient à nous tourmenter de l’extérieur ; c’est la le vrai Gardien du Seuil. En rapport avec ce sujet, il y a certains mystères qui font frémir. Une claire conscience, avec la pureté du magnétisme et la propreté du corps constituent vraiment la meilleure protection. Vous êtes sûr de surmonter les difficultés à mesure que vous persisterez dans l’effort d’attention-dévotion.
Il existe plusieurs types de Gardien du Seuil. Tôt ou tard, chaque chéla vient à le rencontrer, sous une forme ou une autre. Cela, pour la simple raison que chaque être entretient la terrible hérésie personnelle de la séparativité, qui tient à la volonté de vivre une vie séparée, distincte de la Nature – Prakriti, animée par les Maîtres – les Purusha Parfaits.
Les sens intérieurs se répartissent en deux séries. Il y a les doubles psychiques de nos sens corporels : leur développement appartient aux iddhi inférieurs qu’évoque la première page de la Voix du Silence. Par ailleurs, il y a la série supérieure, qui se déploie dans l’astral purifié et élevé
par l’action de l’Ego Manasique, ce développement étant ici de type spirituel. Le lien est expliqué par Judge dans son article intitulé « Culture de la concentration » [Cahier Théosophique n° 70].
Il existe deux formes de conscience morale : (1) celle qui appartient au Manas inférieur ; la voix de Manas qui dit à son partenaire Kâma : « Non, cela est mal ». Kâma répond et trompe Manas, de telle sorte que Manas en devient esclave. Cette voix de la conscience a sa racine dans les expériences Manasiques du passé, et elle est liée essentiellement à la vie Kâmique ou émotionnelle de la personnalité, en sorte qu’elle est capable de dire « non, non ! », mais elle ne peut enseigner. Cette conscience-là est négative. Si nous nous habituons à l’écouter et à la comprendre, la séparation de Manas de l’influence de Kâma est en bonne voie, et un Pukka [= authentique] Antahkârana prend forme. (2) La seconde forme de conscience est celle qui appartient à l’Antahkârana, qui maîtrise Kâma et les cinq sens, avec les cinq organes associés. Cet Antahkârana s’élève vers son Parent, le Manas Supérieur, qui est toujours en union avec la Dyade Âtma-Buddhi. Cette conscience supérieure est appelée la Divine Conscience : elle est buddhique dans sa nature et son caractère. Elle peut non seulement avertir mais aussi apporter de la connaissance, et faire ainsi de l’Antahkârana le Pont prêt à recevoir l’inspiration. C’est là la Voix intérieure dont il existe tant de compréhensions erronées. Pour la conduite quotidienne de la vie Théosophique, la création de cet Antahkârana est hautement importante – en fait tout à fait nécessaire. Antahkârana est alors, pour la personnalité, ce que Buddhi est pour l’Individualité.
Notre amour se colore et se ternit en raison de notre nature kâma-manasique. Notre conscience mentale oscille du purement passionné au purement intuitif, du grossièrement personnel à l’individuel élevé et impersonnel : c’est là l’expérience de chacun de nous. Nous ressemblons aux phases de la lune – en ce que nous changeons constamment, non pourtant de façon régulière, comme la lune, mais par à-coups irréguliers ! Nous devons atteindre la position de la pleine lune, où la personnalité n’est plus obscurcie mais brille pleinement de la Lumière du Soleil Spirituel. Pour y atteindre, il nous faut devenir des êtres antahkâraniques d’une façon plus ou moins permanente. C’est notre champ de bataille – notre dharma comme néophytes-aspirants, fidèles dévots.
Le travail ne tue jamais ; la contrariété le fait, et notre façon de nous en inquiéter et d’y trouver à redire altère la santé psychique aussi bien que physique. H.P.B. a écrit un jour que l’état de chéla est une attitude mentale ; notre attitude envers tous les hommes et toutes les questions, toutes les choses et tous les événements, implique une certaine mesure d’examen de soi, de calme et d’enthousiasme. Le sens de la responsabilité envers sa propre vie et l’étude de la Théosophie font naître l’esprit de sacrifice. Mais comment amener les gens – particulièrement les jeunes – à l’introspection ? Eh bien ! Nous faisons ce que nous pouvons. L’argent est devenu le Grand Dieu, et la vie des sens la communion avec ce Dieu ! Résultat ? Egoïsme. Dénoncer cela, c’est perte de Prâna. S’en lamenter, c’est perte de temps. Nous pouvons et devons nous orienter et nous maintenir debout sur le vrai sentier, en servant de tout notre cœur nos semblables - et nous contenter de Karma.
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[1] Bhikkhu : mot pâli (pour Bhikshu) = moine bouddhiste (littéralement : mendiant). [N.d.T.]
[2] Littéralement : le Mental (supérieur) dans son état rayonnant. [N.d.T.]