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Le phare de l'inconnu[1] (suite et fin)

« Quelle est donc, votre culte ou croyance ? » nous demande-t-on. « Qu'étudiez-vous de préférence ? ».

« LA VERITE », répondons-nous. La vérité partout où nous la trouvons; car, comme Ammonius Saccas, notre plus grande ambition serait de réconcilier tous les différents systèmes religieux, d'aider chacun à trouver la vérité dans sa croyance à lui, tout en le forçant à la reconnaître dans celle de son voisin. Qu’importe le nom si l'essence est la même ? Plotin, Jamblique et Apollonius de Tyane avaient, dit-on, tous les trois les dons merveilleux de la prophétie, de la clairvoyance et celui de guérir, quoique appartenant à trois écoles différentes. La prophétie était un art cultivé aussi bien par les Essènes et les B'ni Nebim parmi les Juifs que parmi les prêtres des oracles des païens. Les disciples de Plotin attribuaient à leur maître des pouvoirs miraculeux ; Philostrate en faisait autant pour Apollonius, tandis que Jamblique avait la réputation d'avoir surpassé tous les autres Eclectes dans la théurgie théosophique. Ammonius déclarait que toute la SAGESSE morale et pratique se trouvait dans les livres de Thoth ou Hermès le Trismégiste. Mais « Thoth » signifie « un collège », école ou assemblée, et les ouvrages de ce nom, selon le theodidaktos, étaient identiques avec les doctrines des Sages de l'Extrême-Orient. Si Pythagore puisa ses connaissances aux Indes (où jusqu'à ce jour il est mentionné dans les vieux manuscrits sous le nom de Yavanâcharya, le « maître grec »)[2], Platon acquit ses connaissances dans les livres de Thoth-Hermès. Comment il se fit que le jeune Hermès, le dieu des bergers, surnommé « le bon Pasteur », qui présidait aux modes de divination et de clairvoyance, devint identique avec Thoth, (ou Thot) le Sage déifié, et l'auteur du Livre des Morts, — la doctrine ésotérique seule pourrait le révéler aux Orientalistes.

Chaque pays a eu ses sauveurs. Celui qui dissipe les ténèbres de l’ignorance à l’aide du flambeau de la science, nous découvrant ainsi la vérité, mérite autant ce titre de notre gratitude que celui qui nous sauve de la mort en guérissant notre corps. Il a réveillé dans notre âme engourdie la faculté de distinguer le vrai du faux, en y allumant une lumière divine jusque-là absente et il a droit à notre culte reconnaissant, car il est devenu notre créateur. Qu'importe le nom ou le symbole qui personnifie l'idée abstraite, si cette idée est toujours la même et la vraie ! Que ce symbole concret porte un nom ou un autre, que le sauveur auquel on croit s'appelle de son nom terrestre, Krishna, Bouddha, Jésus ou Asclépios surnommé aussi le « dieu sauveur » Σώτηρ, nous n'avons qu'à nous souvenir d'une chose : les symboles des vérités divines n’ont pas été inventés pour l'amusement de l'ignorant ; ils sont l'alpha et l'oméga de la pensée philosophique.

La théosophie étant la voie qui mène à la vérité, dans tout culte comme dans toute science, l'occultisme est, pour ainsi dire, la pierre de touche et le dissolvant universel. C'est le fil, d'Ariane donné par le maître au disciple qui s'aventure dans le labyrinthe des mystères de l'être ; le flambeau qui l'éclaire dans le dédale dangereux de la vie, l'énigme du Sphinx, toujours. Mais la lumière versée par ce flambeau ne peut être discernée qu'avec l'œil de l'âme réveillée ou nos sens spirituels ; elle aveugle l'œil du matérialiste comme le Soleil aveugle le hibou.

N'ayant ni dogme ni rituel, — ces deux n'étant que l'entrave, le corps matériel qui étouffe l'âme, — nous ne nous servons jamais de la « magie cérémoniale » des Kabalistes occidentaux; nous en connaissons trop les dangers pour jamais l'admettre. Dans la S. T., tout membre est libre d'étudier ce qui lui plaît, pourvu qu'il ne se hasarde pas, dans des régions inconnues qui le mèneraient sûrement vers la magie noire, la sorcellerie contre laquelle Eliphas Levi met si franchement son public en garde. Les sciences occultes sont un danger pour celui qui ne les comprend qu'imparfaitement. Celui qui s'adonnerait à leur pratique, tout seul, courrait le risque de devenir fou. Or, ceux qui les étudient feraient bien de se réunir en petits groupes de trois à sept. Les groupes doivent être impairs pour avoir plus de force. Un groupe tant soit peu solidaire, formant un seul corps uni, où les sens et perceptions des unités se complètent et s'entre aident, — c'est-à-dire l'un suppléant à l'autre la qualité qui lui manque, — finira toujours par former un corps parfait et invincible. « L'union fait la force ». La morale de la fable du vieillard léguant à ses fils un faisceau de bâtons qui ne doivent jamais être séparés, est une vérité qui restera toujours axiomatique.

« Les disciples (Lanous) de la loi du Cœur de diamant (magie) s'aideront dans leurs leçons. Le grammairien sera au service de celui qui cherche l'âme des métaux (chimistes) », etc., etc. (Catéch. de Gupta Vidya).

Les profanes riraient, si on leur disait que, dans les Sciences Occultes, un alchimiste peut être utile au philologue, et vice versa. Ils comprendront mieux peut-être si on leur dit que par ce substantif (de grammairien, ou philologue), nous voulons désigner celui qui étudie la langue universelle des Symboles correspondants ; quoique seuls les membres de la « Section Esotérique » de la Société Théosophique puissent comprendre clairement ce que le terme de philologue veut dire dans ce sens. Tout correspond et se lie mutuellement dans la nature. Dans son sens abstrait, la Théosophie est le rayon blanc d'où naissent les sept couleurs du prisme solaire, chaque être humain s'assimilant un de ces rayons plus que les six autres. Il s'ensuivrait que sept personnes, pourvue chacune de son rayon spécial, pourraient s'aider mutuellement. Ayant à leur service le faisceau septénaire, elles auraient ainsi les sept forces de la nature à leur disposition. Mais il s'ensuit aussi que pour arriver à ce but, le choix des sept personnes ayant à former un groupe, doit être laissé à un ,expert, à un initié dans la Science des rayons occultes.

Mais nous voici sur un terrain dangereux où le sphinx ésotérique risque fort d'être accusé de mystification. Cependant la Science officielle nous fournit la preuve de ce que nous avançons, et nous trouvons une corroboration dans l'astronomie physique et matérialiste. Le soleil est un, et sa lumière luit pour tout le monde ; elle réchauffe l'ignorant autant que l'adepte en astronomie. Quant aux hypothèses sur l'astre du jour, sa constitution et sa nature, — leur nom est légion. Aucune de ces hypothèses n'est la vérité entière, ni même approximative. Souvent, ce n'est qu'une fiction, bientôt remplacée par une autre. Car c'est à la théorie scientifique que s'appliquent mieux qu'à toute autre chose dans ce bas monde, ces vers de Malherbe :

«  ... Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin. »

Cependant, qu'elles embaument ou non l'autel de la Science, chacune de ces théories peut contenir une parcelle de vérité. Triées, comparées et analysées, ajoutées les unes aux autres, toutes ces hypothèses pourraient fournir un jour un axiome astronomique, un fait dans la nature, au lieu d'une chimère dans un cerveau scientifique.

Ceci ne veut nullement dire que nous acceptions comme une parcelle de la vérité, même tout axiome reconnu comme tel dans les Académies. A preuve, l'évolution et les transformations fantasmagoriques des taches solaires, — la théorie de Nasmyth, à l'heure qu'il est. Sir John Herschell a commencé par y voir des habitants solaires, de beaux anges gigantesques. William Herschell, observant un silence prudent sur ces salamandres divines, partagea l'opinion de Herschell l'aîné, que le globe Solaire n'était qu'une belle métaphore, une maya — énonçant ainsi un axiome occulte. Les taches ont trouvé leur Darwin dans chaque astronome de quelque éminence. Elles furent prises successivement pour des esprits planétaires, des mortels solaires, des colonnes de fumée volcanique (engendrées, par les cerveaux académiciens, il faut croire), des nuages opaques, et finalement pour des ombres à forme de feuilles de saule (willow leaf theory). A l'heure qu'il est, le dieu Sol est dégradé. A les entendre dire, il n'est plus qu'un charbon gigantesque, embrasé encore, mais prêt à s'éteindre dans le foyer de notre petit système !

Ainsi des spéculations publiées par des membres de la S. T., lorsque leurs auteurs, tout en appartenant à la fraternité Théosophique, n'ont jamais étudié les vraies doctrines ésotériques. Elles ne seront jamais que des hypothèses à peine colorées d'un rayon de vérité, noyées dans un chaos fantasque et souvent baroque. En les triant à leur taux et en les plaçant l'une à côté de l'autre, on parviendra cependant a en extraire une vérité philosophique. Car, disons-le tout de suite, la théosophie a cela en plus de la Science vulgaire, qu'elle examine le revers de toute vérité apparente. Elle creuse et analyse chaque fait présenté par la Science physique, n'y cherchant que l'essence et la constitution finale et occulte dans toute manifestation cosmique et physique, qu'elle soit du domaine moral, intellectuel ou matériel. En un mot, elle commence ses recherches là où celles des matérialistes finissent.

— C'est donc de la métaphysique que vous nous offrez ? Pourquoi ne pas le dire tout de suite ? nous objectera-t-on.

Non, ce n'est pas la métaphysique, ainsi qu'on la comprend généralement, quoiqu'elle joue son rôle quelquefois. Les spéculations de Kant, de Leibnitz et de Shopenhauer sont du domaine métaphysique, ainsi que celles d'Herbert Spencer. Cependant, lorsqu'on étudie ces dernières, on ne peut s'empêcher de rêver à Dame Métaphysique se présentant dans le bal, masqué des Sciences Académiques, avec son nez postiche. La métaphysique de Kant et de Leibnitz, — a preuve ses monades, — est au-dessus de la métaphysique du jour, comme le ballon dans les nues, est au-dessus d'une citrouille vide dans un champ. Néanmoins, même le ballon, tout supérieur - qu'il soit à la citrouille, est trop artificiel pour servir de véhicule à la Vérité des Sciences Occultes. Cette dernière est une déesse peut-être trop franchement décolletée pour être du goût de nos savants si modestes. La métaphysique kantienne a fait découvrir à son auteur, sans le moindre secours des méthodes actuelles ou d'instruments perfectionnés, l'identité de la constitution et de l'essence du soleil et des planètes ; et Kant a affirmé, lorsque les meilleurs astronomes, même dans la première moitié de ce siècle, — ont encore nié. Mais cette même métaphysique n'a pas réussi à lui démontrer, pas plus qu'elle n'a aidé la physique moderne à la découvrir (malgré ses hypothèses si bruyantes) la vraie nature de cette essence.

Donc, la Théosophie, ou plutôt les sciences occultes qu'elle étudie, sont quelque chose de plus que de la simple métaphysique. C'est, s'il m'est permis d'user de ce double terme, de la méta-métapnysique, de la méta-géométrie, etc., etc., ou un transcendantalisme universel. La Théosophie rejette entièrement le témoi­gnage des sens physiques, si celui-ci n'a pas pour base celui de la perception spirituelle et psychique. Qu'il s'agisse de la clairvoyance et de la clairaudience le mieux développées, le témoignage final de toutes deux sera rejeté, à moins que ces termes ne signifient la φωτός de Jamblique, ou l'illumination extatique, le άγωγή μαυτίχ, de Plotin et de Porphyre. De même pour les sciences physiques; l'évidence de la raison sur le plan terrestre, comme celle de nos cinq sens, doivent recevoir l'imprimatur du sixième et septième sens de l'Ego divin, avant qu'un fait soit accepté par un vrai occultiste.

La science officielle nous écoute dire, et... rit. Nous lisons ses rapports, nous voyons les apothéoses à son soi-disant progrès, ses grandes découvertes, — dont plus d'une, tout en enrichissant le petit nombre des riches, a plongé des millions de pauvres dans une misère encore plus effrayante, — et nous la laissons faire. Mais, trouvant que dans la connaissance de la matière primitive la science physique n'a pas fait un pas de plus depuis Anaximène et l'école ionienne, — nous rions à notre tour.

Dans cette direction, les plus beaux travaux et les plus belles découvertes scientifiques de ce siècle appartiennent sans contredit au grand savant chimiste, M. William Crookes[3].

Dans son cas à lui, son intuition si remarquable des vérités occultes, lui a rendu plus de services que son érudition dans la science physique. Ce ne sont certainement ni les méthodes scientifiques, ni la routine officielle, qui l'ont beaucoup aidé dans sa découverte de la matière radiante ou dans ses recherches sur le protyle, ou la matière primordiale[4].

Ce que les Théosophes qui appartiennent à la science officielle et orthodoxe s'efforcent d'accomplir dans leur domaine à eux, les occultistes ou les Théosophes du « groupe intérieur » l'étudient selon la méthode de l'école ésotérique. Si jusqu'ici cette méthode n'a prouvé sa supériorité qu'à ses seuls élèves, c'est-à-dire à ceux qui se sont engagés par serment à ne jamais la révéler, ceci ne prouve pas encore en sa défaveur. Non seulement les mots magie et théurgie n'ont jamais été même approximativement compris, mais même le terme Théosophie a été défiguré. Les définitions qui en sont données dans les encyclopédies et les dictionnaires sont aussi absurdes que grotesques. Voyez plutôt Webster qui explique le mot Théosophie en assurant à ses lecteurs que c'est « un rapport direct, ou communication avec Dieu et les Esprits supérieurs » et ensuite, que c'est « l'acquisition des connaissances et des pouvoirs surhumains et surnaturels par des procédés physiques (! ?), comme cela se pratique dans les cérémonies théurgiques des Platoniciens ou les procédés chimiques des philosophes du Feu, en Allemagne ». Or ceci n'est qu'un galimatias insensé. C'est absolument comme si nous disions qu'il est possible de transformer une cervelle fêlée en un cerveau comme celui de Newton et d'y développer le génie mathématique, en faisant cinq lieues par jour sur un cheval de bois.

La Théosophie est synonyme de la Gnanâ- Vidya, et de Brahmâ- Vidya[5] des Indous, et du Dzyan des adeptes trans-himaléens, la science des vrais Raj-Yogas, qui sont bien plus accessibles qu'on ne le croit. Elle a des écoles nombreuses dans l'Orient. Mais ses branches sont encore plus nombreuses, chacune, ayant fini par se détacher du tronc-mère, — la SAGESSE ARCHAIQUE, — et varier dans sa forme.

Mais, tandis que ces formes variaient, s'écartant davantage, avec chaque génération, de la Vérité-Lumière, le fond des vérités initiatiques resta toujours le même. Les symboles choisis pour désigner la même idée peuvent différer, mais, dans leur sens caché, ils expriment tous la même idée. Ragon, le maçon le plus érudit entre les « Fils de la Veuve », l'a bien dit. Il existe une langue sacerdotale, le « langage du mystère », et à moins de la bien connaître, on ne peut aller bien loin dans les sciences Occultes. Selon lui, « bâtir ou fonder une ville », avait la même signification que de « fonder une religion » ; donc, cette phrase, dans Homère, est l'équivalente de celle qui parle dans les Brahmânas, de distribuer le « jus de Soma ». Elle veut dire « fonder une école ésotérique », non pas une « religion », comme Ragon le veut. S'est-il trompé ? Nous ne pensons pas. Mais comme un théosophe du cercle ésotérique n'oserait dire ce qu'il a juré de réserver dans le silence, à un simple membre de la Société Théosophique, de même Ragon se vit obligé de ne divulguer que des vérités relatives, à ses trinosophes. Néanmoins, il est plus que certain qu'il avait étudié, du moins d'une manière élémentaire, la LANGUE DES MYSTÈRES.

Comment faire pour l'apprendre ? nous demande-t-on. Nous répondons : étudiez et comparez toutes les religions. Pour l'apprendre à fond, il faut un maître, un gourou ; pour y arriver de soi-même, il faut plus que du génie ; il faut être inspiré comme le fut Ammonius Saccas. Encouragé dans l'Eglise par Clément d'Alexandrie et Athénagore, protégé par les savants de la Synagogue et l'Académie, et adoré des Gentils, « il apprit la langue des mystères, en enseignant l'origine commune de tous les cultes, et un culte commun ». Pour le faire, il n'avait qu'à enseigner dans son école suivant les anciens canons d'Hermès que Platon et Pythagore avaient si bien étudiés et dont ils tirèrent leurs deux philosophies. S'étonnera-t-on si, trouvant dans les premiers versets de l'évangile de saint Jean les mêmes doctrines que dans les trois philosophies susnommées, il en conclut avec beaucoup de raison que le but du grand Nazaréen était de restaurer la sublime science de la vieille Sagesse dans toute son intégralité primitive ? Nous pensons comme Ammonius. Les récits bibliques et les histoires des dieux n'ont que deux explications possibles : ou bien ces récits et ces histoires sont de grandes et profondes allégories illustrant des vérités universelles, ou bien des fables bonnes à endormir les ignorants.

Ainsi les allégories, — juives comme païennes, contiennent toutes des vérités, et ne peuvent être comprises que de celui qui connaît la langue mystique de l'antiquité. Voyons ce que dit à ce propos un de nos théosophes les plus distingués, un Platonicien fervent et un Hébraïsant qui connaît son grec et son latin comme sa propre langue, le professeur Wilder[6], de New-York :

« L'idée antérieure des Néo Platoniciens était l'existence d'une seule et suprême Essence. C'était le Diu, ou « Seigneur des Cieux » des nations Aryennes, identique avec le Ιαω (Iao) des Chaldéens et des Hébreux, le Iabe des Samaritains, le Tiu ou Tuiseo des Norvégiens, le Duw des anciennes peuplades des îles Britan­niques, le Zeus de celles de Thrace, et le Jupiter des Romains. C'était l'Etre — (Non-Etre, le Facit) un et suprême. C'est de lui que procédèrent tous les autres êtres par émanation. Les modernes ont substitué à ceci, paraît-il, leur théorie d'évolution. Peut-être qu’un jour quelque sage, plus perspicace qu'eux, fondra ces deux systèmes en un seul. Les noms de ces différentes divinités semblent avoir été souvent inventés avec peu ou point de rapport à leur signification étymologique, mais principalement à cause de tel ou tel autre sens mystique, attaché à la signification, numérique des lettres employées dans leur orthographe. »

Cette signification numérique est une des branches de la « langue du mystère », ou l'ancienne langue sacerdotale. On l'enseignait dans les « Petits Mystères », mais la langue même était réservée pour les hauts initiés seuls. Le candidat devait être sorti victorieux des terribles épreuves des Grands Mystères, avant d'en recevoir l'instruction. Voici pourquoi Ammonins Saccas, à l'instar de Pythagore, faisait prêter serment à ses disciples de ne jamais divulguer les doctrines supérieures à une personne qui ne fut déjà instruite dans les doctrines préliminaires, et prête pour l'initiation. Un autre sage, qui le précéda de trois siècles, en faisait autant avec ses disciples, en leur disant : qu'il leur parlait « par des similitudes » (ou paraboles) « parce qu'il vous est donné de connaître les mystères du royaume des deux, mais que cela ne leur est point donné... parce qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent pas, et ne comprennent point ».

Ainsi donc, les « similitudes » employées par Jésus, faisaient partie de la « langue des mystères », le parler sacerdotal des Initiés. Rome en a perdu la clef : en rejetant la théosophie et prononçant son anathème sur les sciences occultes, — elle la perd pour toujours.

« Aimez-vous les uns les autres », disait ce grand Maître[7] à ceux qui étudiaient les mystères « du royaume de Dieu ». « Professez l'altruisme, préservez l'union, l'accord et l'harmonie dans vos groupes, vous tous qui vous mettez dans les rangs des néophytes et des chercheurs de la VERITE UNE », nous disent d'autres Maîtres. « Sans union et sympathie intellectuelle et psychique, vous n'arriverez à rien. Celui qui sème la discorde récolte l'ouragan... »[8].

Les Kabalistes savants et ferrés à glace sur le Zohar et ses nombreux commentaires ne manquent pas parmi nos membres ni en Europe ni, surtout, en Amérique. A quoi cela nous mène-t-il, et quel bien ont-ils fait jusqu'à ce jour à la Société pour laquelle ils se sont engagés à travailler dès leur entrée ? La plupart d'entre eux, au lieu de se mettre ensemble et s'entre aider, se regardent de côté ; — ses membres étant toujours prêts à se moquer l'un de l'autre et à se critiquer mutuellement. L'envie, la jalousie, et un sentiment de rivalité des plus déplorables, règnent, suprêmes, dans une Société dont le but principal est la fraternité ! « Voyez comme ces Chrétiens s'aiment ! » disaient les païens dans les premiers siècles, des pères de l'Eglise, de ceux qui s'entretuaient au nom du Maître qui leur avait légué la paix et l'amour. Les critiques et les indifférents commencent à en dire autant des Théosophes, et ils ont raison. Voyez ce que deviennent nos journaux, — tous, excepté le « Path » de New-York ; — même le Theosophist, la plus vieille de nos publications mensuelles, ne fait, depuis cinq mois que le Président fondateur est parti pour le Japon, que happer de côté et d'autre après les jambes de ses collègues et contemporains théosophiques. En quoi valons-nous mieux que les Chrétiens des premiers Conciles ?

« L'union fait la force ». Voici donc une des raisons de notre faiblesse. On nous conseille de ne pas laver notre linge sale en public ? Je pense le contraire. Mieux vaut confesser ses imperfections devant le monde, autrement dit, laver son linge sale à soi, que de salir le linge de ses frères en théosophie, comme quelques-uns aiment à le faire. Parlons en général, confessons nos fautes, dénonçons tout ce qui n'est pas théosophique, laissons toute personne tranquille ; ceci c'est l'affaire du karma de chacun, et les Revues Théosophiques n'ont rien à y voir.

 

[1] Voir Cahier Théosophique, n° 25.

[2] Yavana ou « l'Ionien », et achârya, « professeur ou maître ». Le nom est un composé de ces deux mots.

[3] Membre du Conseil exécutif de la London Lodge of the Theoso­phical Society.

[4] L'élément homogène, non différencié qu'il appelle méta-élément.

[5] Vidya ne peut se rendre que par le terme grec la gnose, le sa­voir ou connaissance des choses cachées et spirituelles ou encore la sagesse de Brahm, c'est-à-dire du Dieu qui contient en lui tous les dieux.

[6] Le premier vice-président de la S.T. lorsqu'elle fut fondée.

[7] Jésus. Voir les numéros 3, 4, 5, de la Revue Théosophique.

[8] Proverbe siamois et bouddhiste.

Ceux qui veulent réussir dans la théosophie, abstraite ou pratique, — doivent se souvenir que la désunion est la première condition d'insuccès. Mais qu'une dizaine de théosophes déterminés et unis se groupent. Qu'ils travaillent ensemble, chacun suivant son goût, s'il le préfère, dans telle ou telle autre branche de la science universelle, mais que chacun se sente en sympathie avec son voisin. Ceci ne ferait que du bien, même dans les rangs des simples membres qui ne tiennent pas aux recherches philosophiques. Si un groupe semblable, choisi d'après les règles ésotériques, se formait entre mystiques seuls, s'ils se mettaient à la poursuite de la vérité en s'entre aidant de leurs lumières réciproques, nous répondons que chaque membre de ce groupe ferait plus de progrès dans la science sacrée, en une année, qu'il ne peut, à lui tout seul, en faire dans dix ans. En théosophie, ce qu'il faut, c'est l'émulation et non la rivalité ; autrement celui qui se vante d'être le premier arrivera le dernier. Dans la vraie théosophie, c'est toujours le plus petit qui devient le plus grand.

Cependant, la Société Théosophique compte plus de disciples victorieux qu'on ne pense généralement. Mais ceux-là se tiennent à l'écart et travaillent au lieu de pérorer. Ce sont nos théosophes les plus zélés comme les plus dévoués. En publiant un article, ils oublient leur nom, pour ne se rappeler que leur pseudonyme. Il y en a qui connaissent la langue des Mystères à perfection, et tel ancien livre ou manuscrit indéchiffrable à nos savants ou qui ne leur paraît qu'un amas d'erreurs contre la science moderne, est livre ouvert pour eux.

Ces quelques hommes et femmes dévoués sont les piliers de notre temple. Eux seuls paralysent le travail incessant de nos « termites » théosophiques.

Et maintenant, nous croyons avoir suffisamment réfuté, dans ces pages, plusieurs graves erreurs sur nos doctrines et croyances ; celle entre autres qui tient à voir dans les Théosophes, — dans ceux au moins qui ont fondé la Société, — des polythéistes ou des athées. Nous ne sommes ni l'un ni l'autre ; pas plus que ne l'étaient certains gnostiques qui, tout en croyant à l'existence des dieux planétaires, solaires et lunaires, ne leur offraient ni prières ni autels. Ne croyant pas à un Dieu personnel, en dehors de l'homme qui en est le temple, selon saint Paul et autres Initiés, nous croyons à un PRINCIPE impersonnel et absolu[1], tellement au-delà des conceptions humaines que nous ne voyons rien de moins qu'un blasphémateur et un présomptueux insensé dans celui qui chercherait à définir ce grand mystère universel. Tout ce qui nous est enseigné sur ce principe éternel et sans pareil, c'est qu'il n'est ni esprit, ni matière, ni substance, ni pensée, mais le contenant de tout cela, le contenant absolu. C'est en un mot le « Dieu néant » de Basilide, si peu compris même des savants et habiles annalistes du Musée Guimet (tome XIV), qui définissent le terme assez railleusement, lorsqu'ils parlent de ce « dieu néant qui a tout ordonné, tout prévu, quoiqu'il n'eût ni raison ni volonté. »

Oui, certes, et ce « dieu néant » étant identique avec le Parabrahm des Védantins, — la conception la plus philosophique comme la plus grandiose, — est identique aussi avec le AIN-SOPH des Kabalistes juifs. Celui-ci est aussi le « dieu qui n'est pas », « Ain » signifiant non-être ou l'absolu, le RIEN ou τό ούδένέν de Basilide, c'est-à-dire que l'intelligence humaine, étant limitée sur ce plan matériel, ne peut concevoir quelque chose qui est, mais qui n'existe sous aucune forme. L'idée d'un être étant limitée à quelque chose qui existe, soit en substance — actuelle ou potentielle, — soit dans la nature des choses ou dans nos idées seulement, ce qui ne peut être perçu par les sens ou conçu par notre intellect qui conditionne toutes choses, n'existe pas pour nous.

— « Où donc placez-vous le Nirvana, ô grand Arhat ? demande un roi à un vénérable ascète bouddhiste qu'il questionne sur la bonne loi.

— Nulle part, ô grand roi ! fut la réponse.

— Le Nirvana n'existe donc pas ?

— Le Nirvana est, mais n'existe point. »

 

De même pour le dieu « qui n'est pas », une pauvre traduction littérale, car on devrait lire ésotériquement le dieu qui n'existe pas mais qui est. Car la souche d'ούδέν est ούδείς, et signifie « et non quelqu'un », c'est-à-dire que ce dont on parle, n'est point une personne ou quelque chose, mais le négatif des deux (le ούδέν neutre, est employé comme adverbe : « dans rien »). Donc le to ouden en de Basilide est absolument identique avec l'En ou Ain-Soph des Kabalistes. Dans la métaphysique religieuse des Hébreux, l'Absolu est une abstraction, « sans forme ni existence », « sans aucune similitude à rien autre » (Franck, La Kabbale, p. 126). Dieu donc est RIEN, sans nom, comme sans qualités ; c'est pourquoi on l'appelle AIN-SOPH, car le mot Ain signifie « rien » (Franck, La Kabbale, p. 153, 596).

Ce n'est pas ce Principe immuable et absolu, qui n'est qu'en puissance d'être, qui émane les dieux, ou principes actifs du monde manifesté. L'absolu n'ayant, ni ne pouvant avoir aucune relation avec le conditionné ou le limité, ce dont les émanations procèdent est le « Dieu qui parle » de Basilide : c'est-à-dire le Logos, que Philon appelle « le second: Dieu » et le Créateur des formes. « Le second Dieu est la Sagesse du Dieu UN » (Quaest. et Salut). « Mais ce logos, cette « Sagesse », est une émanation, toujours ? » nous objectera-t-on. « Or, faire émaner quelque chose de RIEN, est une absurdité ! » Pas le moins du monde. D'abord, ce « rien » est un rien parce qu'il est l'absolu, par conséquent le TOUT. Ensuite, ce « second Dieu » n'est pas plus une émanation que l'ombre que notre corps projette sur un mur blanc n'est l'émanation de ce corps. En tout cas, ce Dieu n'est pas l'effet d'une cause ou d'un acte réfléchi, d'une volonté consciente et délibérée. Il n'est que l'effet périodique[2] d'une loi éternelle et immuable, en dehors du temps et de l'espace, et dont le logos ou l'intelligence créatrice est l'ombre ou le reflet.

— « Mais c'est absurde, cette idée ! » entendons nous dire à tout croyant dans un Dieu personnel et anthropomorphe. « Des deux — l'homme et son ombre — c'est cette dernière qui est le rien, une illusion d'optique, et l'homme qui la projette qui est l'intelligence, quoique passive dans ce cas ! »

— Parfaitement, mais c'est seulement ainsi sur notre plan où tout n'est qu'illusion ; où tout paraît à l'envers, comme ce qui est reflété dans un miroir. Or, comme le domaine du seul réel est à nos perceptions faussées par la matière le non-réel ; et que, du point de vue de la réalité absolue, l'univers avec ses êtres conscients et intelligents n'est qu'une pauvre fantasmagorie, il en résulte que c'est l'ombre du Réel, sur le plan de ce dernier, qui est douée d'intelligence et d'attributs, tandis que cet absolu, — de notre point de vue, — est privé de toute qualité conditionnelle, par cela même qu'il est l'absolu. Il ne faut pas être bien versé dans la métaphysique orientale pour le comprendre ; et il n'est pas bien nécessaire d'être un paléographe ou un paléologue distingué pour voir que le système de Basilide est celui des Védantins, quelque tordu et défiguré qu'il soit par l'auteur du Philosophumena. Ceci nous est parfaitement prouvé même par le résumé fragmentaire des systèmes gnostiques, que nous donne cet ouvrage. Il n'y a que la doctrine ésotérique qui puisse expliquer tout ce qu'il se trouve d'incompréhensible et de chaotique dans ce système incompris de Basilide, ainsi qu'il nous est transmis par les pères de l'église, ces bourreaux des Hérésies. Le Pater innatus, ou le Dieu non engendré, le grand Archon (Aρχωυ), et les deux démiurges, même les trois cent soixante-cinq cieux, le nombre contenu dans le nom d'Abraxas leur gouverneur, tout cela fut dérivé des systèmes Indiens. Mais tout est nié dans notre siècle de pessimisme, où tout marche à la vapeur, voire même la vie, ou rien d'abstrait aussi —- et il n'y a pas autre chose d'éternel — n'intéresse plus que de rares excentriques, et où l'homme meurt, sans avoir vécu un moment en tête-à-tête avec son âme, emporté qu'il est par le tourbillon des affaires égoïstes et terrestres.

A part, cependant, la métaphysique, chacun de ceux qui entrent dans la Société Théosophique y peut trouver une science ou une occupation à son goût. Un astronome pourrait faire plus de découvertes scientifiques en étudiant les allégories et les symboles concernant chaque étoile[3] dans les vieux livres sanscrits, qu'il n'en fera jamais avec l'aide seulement des Académies. Un médecin intuitif en apprendrait plus dans les ouvrages de Charaka[4], — traduits en Arabe dans le VIIIème siècle, ou dans les manuscrits poudreux qui se trouvent à la librairie d'Adyar, — incompris comme tout le reste, que dans les livres sur la physiologie moderne. Les théosophes portés vers la médecine ou l'art de guérir pourraient consulter plus mal que les légendes et symboles révélés et expliqués sur Asclépios ou Esculape. Car, comme jadis Hippocrate consultant à Cos[5] les stèles votives à la rotonde d'Epidaure (surnommée le Tholos), ils pourraient y trouver les prescriptions de remèdes inconnus à la pharmacopée moderne[6]. Pour lors, ils pourraient peut-être guérir, au lieu de tuer.

Disons-le, pour la centième fois : la Vérité est une ! Sitôt qu'elle est présentée, non sous toutes ses faces, mais selon les mille et une opinions que se font sur elle ses serviteurs, on n'a plus la VÉRITÉ divine, mais des échos confus de voix humaines. Où la chercher dans son tout intégral, même approximatif ? Est-ce chez les Kabalistes chrétiens ou les Occultistes européens modernes ? Chez les Spirites du jour ou les spiritualistes primitifs ?

— « En France », nous dit un jour un ami, « autant de Kabalistes, autant de systèmes. Chez nous, ils se prétendent tous Chrétiens. Il y en a qui sont pour le Pape, jusqu'à rêver pour lui la couronne universelle, — celle d'un Pontife-César. D'autres sont contre la papauté, mais pour un Christ pas même historique, mais créé par leur imagination, un Christ politiquant et anti-césarien, etc., etc. Chaque Kabalisle croit avoir retrouvé la Vérité perdue. C'est toujours sa science à lui, qui est la Vérité éternelle, et celle de tout autre, rien qu'un mirage... Et il est toujours prêt à la défendre et à la soutenir à la pointe de sa plume... ».

— « Mais les KabaIistes Israélites, lui demandai-je, sont-ils aussi pour le Christ ? ».

— « Ah ! bien, ceux-là sont pour leur Messie. Ce n'est qu'une affaire de date ! ».

En effet, dans l'éternité il ne saurait se trouver d'anachronisme. Seulement, comme toutes ces variations de termes et de systèmes, tous ces enseignements contradictoires ne sauraient contenir la vraie Vérité, je ne vois pas comment MM. les Kabalistes de France peuvent prétendre à la connaissance des Seiences occultes. Ils ont la Kabbale de Moïse de Léon[7] compilée par lui au XIIIème siècle ; mais son Zohar, comparé au « Livre des Nombres » des Chaldéens représente autant l'ouvrage de Rabbi Siméon Ben Iochai, que le Pimandre des grecs chrétiens représente le vrai livre du Thoth égyptien. La faculté avec laquelle la Kabbale de Rosenroth et ses textes latins du moyen âge manuscrits et lus d'après le système du Notarion, se transforment en textes chrétiens et trinitaires, ressemble à un effet de féerie. Entre le marquis de Mirville et son ami, le chevalier Drach, ancien rabbin converti, la « bonne Kabbale » est devenue un catéchisme de l'église de Rome. Que MM. les Kabalistes s'en contentent, nous préférons nous en tenir à la Kabbale des Chaldéens : le « Livre des Nombres ». Celui qui est satisfait de la lettre morte, aura beau se draper dans le manteau des Tanaim {des anciens initiés d'Israël), il ne sera toujours, aux yeux de l'occultiste expérimenté, que le loup affublé du bonnet de nuit de la grand'mère du petit Chaperon Rouge. Mais le loup ne dévorera point l'occultiste comme il dévore le Chaperon Rouge, symbole du profane assoiffé de mysticisme, qui tombe sous sa dent. C'est le « loup » plutôt lui-même qui périra, en tombant dans son propre piège...

Comme la Bible, les livres kabalistiques ont leur lettre morte, le sens exotérique, et leur sens vrai ou l'ésotérique. La clef du vrai symbolisme se trouve à l'heure qu'il est au-delà des pics gigantesques des Himalayas, même celle des systèmes Indous. Aucune autre clef ne saurait ouvrir les sépulcres où gisent enterrés depuis des milliers d'années tous les trésors intellectuels qui y furent déposés par les interprètes primitifs de fa Sagesse divine. Mais le grand cycle, le premier du Kali-Yuga, est à sa fin ; le jour de la résur­rection de tous ces morts peut bien ne pas être loin. Le grand voyant suédois, Emmanuel Swedenborg, l'a dit : « Cherchez le mot perdu parmi les hiérophantes, dans la grande Tartarie et le Thibet ».

Quelles que soient les apparences contre la Société Théosophique, quelle que soit son impopularité parmi ceux qui tiennent en sainte horreur tout ce qui leur semble une innovation, une chose cependant est certaine. Ce que vous regardez, Messieurs nos ennemis, comme une invention du XIXème siècle, est vieux comme le monde. Notre Société est l'arbre de la Fraternité, poussé d'un noyau planté dans la terre par l'ange de la Charité et de la Justice, le jour où le premier Caïn tua le premier Abel. Pendant les longs siècles de l'escla­vage de la femme et de la souffrance du pauvre, ce noyau fut arrosé de toutes les larmes amères versées par le faible et l'opprimé. Des mains bénies l'ont replanté d'un coin de la terre dans un autre, sous des cieux différents et à des époques éloignées l'une de l'autre. « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît », disait Confucius à ses disciples. « Aimez-vous entre vous, et aimez toute créature vivante », prêchait Gautama le Bouddha à ses Arhats. « Aimez-vous les uns les autres », fut répété comme un écho fidèle dans les rues de Jérusalem. C'est aux nations chrétiennes qu'appartient l'honneur d'avoir obéi à ce commandement suprême de leur maître dans toute la force paradoxale ! Caligula, le païen, désirait que l'humanité n'eût qu'une tête pour la décapiter d'un coup. Les puissances chrétiennes ont renchéri sur ce désir resté en théorie, en cherchant, et trouvant enfin le moyen de le mettre en pratique. Qu'ils se préparent donc à s'entr'égorger et qu'ils continuent à exterminer à la guerre plus d'hommes en un jour que les Césars n'en tuaient dans une année. Qu'ils dépeuplent des pays et des provinces entières au nom de leur religion paradoxale et qu'ils périssent par l'épée, ceux qui tuent par l'épée. Qu'avons-nous à voir dans tout cela ?

Les théosophes sont impuissants à les arrêter. Soit. Mais il leur appartient de sauver autant de survivants que possible. Noyaux d'une vraie Fraternité, il dépend d'eux de faire de leur Société l'arche destinée, dans un avenir prochain, à transporter l'humanité du nouveau cycle au-delà des grandes eaux bourbeuses du déluge du matérialisme sans espoir. Ces eaux montent toujours et inondent en ce moment tous les pays civilisés. Laisserons-nous périr les bons avec les mauvais, effrayés des clameurs et des cris railleurs de ces derniers, soit contre la Société Théosophique ou nous-mêmes ? Les verrons-nous périr l'un après l'autre, l'un, de lassitude, l'autre, cherchant en vain un rayon de soleil qui luit pour tout le monde, sans leur tendre seulement une planche de salut ? Jamais !

Il se peut que la belle utopie, le rêve du philanthrope qui voit comme dans une vision le triple désir de la Société Théosophique s'accomplir, soit encore loin. Une liberté pleine et entière de la conscience humaine accordée à tous, la fraternité régnant entre le riche et le pauvre, et l'égalité entre l'aristocrate et le plébéien reconnue ,en théorie et pratique, — sont encore autant de châteaux en Espagne, et pour une bonne raison. Tout ceci doit s'accomplir naturellement et volontairement, de part et d'autre ; or, le moment n'est pas encore arrivé, pour le lion et l'agneau, de dormir dans les bras l'un de l'autre. La grande réforme doit avoir lieu sans secousses sociales, sans une goutte de sang versé ; rien qu'au nom de cette vérité axiomatique de la philosophie orientale qui nous montre que la grande diversité de fortune, de rang social et d'intellect, n'est due qu'à des effets du karma personnel de chaque être humain. Nous ne recueillons que ce que nous avons semé. Si l'homme physique de la personnalité diffère de chaque autre homme, l'être immatériel en lui, ou l'individualité immortelle, émane de la même essence divine que celle de son voisin. Celui qui est bien impressionné de la vérité philosophique que tout Ego commence et finit par être le TOUT indivisible ne saurait aimer son voisin moins qu'il ne s'aime lui-même. Or, jusqu'au moment où ceci deviendra une vérité religieuse, aucune réforme semblable ne pourrait avoir lieu. L'adage égoïste : « Charité bien ordonnée commence par soi-même », ou cet autre : « Chacun pour soi, Dieu pour tout le monde », mèneront toujours les races « supérieures » et chrétiennes à s'opposer à l'introduction pratique de ces beaux proverbes païens : « Tout pauvre est le fils du riche », et encore davantage à celui qui nous dit : « Nourris d'abord celui qui a faim, et mange toi-même ce qui reste ».

Mais le temps viendra où cette sagesse « barbare » des races « inférieures » sera mieux appréciée. Ce que nous devons chercher en attendant, c'est d'apporter un peu de paix sur terre, dans les cœurs de ceux qui souffrent, en soulevant pour eux un coin du voile qui leur cache la vérité divine. Que les plus forts montrent le chemin aux plus faibles, et les aident à gravir la pente escarpée de l'existence. Qu'ils leur fassent fixer le regard sur le Phare qui brille à l'horizon, au-delà de la mer mystérieuse et inconnue des Sciences théosophiques comme une nouvelle étoile de Bethléem, — et que les déshérités de la vie reprennent espoir...

 

 

[1] Cette croyance ne regarde que ceux qui partagent l'opinion de la soussignée. Chaque membre a le droit de croire en ce qu'il veut et comme il veut. Comme nous l'avons dit ailleurs, la Société Théosophique est la « République de la conscience. »

[2] Pour celui, du moins, qui croit à une succession de « créations »  non interrompues, que nous nommons « les jours et les nuits » de Brahmâ, ou les manvantaras et les pralayas (dissolutions).

[3] Chaque dieu ou déesse des 333.000.00'0 qui composent le Pan­théon Indou, est représenté par une étoile. Comme le nombre des étoi1es et constellations connues des astronomes n'arrive guère à ce chiffre, on pourrait soupçonner que les anciens Indous connaissaient plus d'étoiles que les modernes.

[4] Charaka était un médecin de l'époque védique. Une légende le représente comme l'incarnation du Serpent de Vishnou, sous son nom de Secha, qui règne dans Patala (les enfers).

[5] Strabon, XIV, 2, 19. Voyez aussi Pausan, II. 27.

[6] On sait que tous ceux qui se trouvaient guéris dans les Asclepieia laissaient dans le temple des ex-voto ; qu'ils faisaient graver sur des stèles les noms de leurs maladies et des remèdes bienfaisants. Dernièrement  une quantité de ces ex-voto furent excavés à l'Acropole. Voyez l'Asclepieion d'Athènes. M. P. Girard, Paris, Thorin, 1881.

[7] C'est lui qui a compilé le Zohar de Siméon ben Iochai, les originaux des premiers siècles ayant été tous perdus ; on l'accusa à tort d'avoir inventé ce qu'il a écrit. Il a collectionné tout ce qu'il put trouver ; mais il suppléa de son propre fonds aux passages qui manquaient aidé en ceci par les chrétiens gnostiques de la Chaldée et de la Syrie.

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