L’action psychique et noétique (fin)
-- II --
« La connaissance du passé, du présent et du futur est contenue en kshetrajnâ (le « Soi »). »
Axiomes occultes.
Ayant démontré en quoi et pourquoi nous, Occultistes, étions en désaccord avec la psychologie physiologique matérialiste, nous pouvons maintenant indiquer la différence qui existe entre les fonctions mentales psychiques et noétiques, ces dernières n'étant pas reconnues par la science officielle.
De plus, en Théosophie, nous interprétons les termes « psychique » et « psychisme » d'une façon quelque peu différente du grand public, de la science et même de la théologie, celle-ci leur accordant une signification que la science et la Théosophie rejettent, le public en général ayant du sens de ces termes une conception très obscure. Pour beaucoup, il y a peu ou pas de différence entre « psychique » et « psychologique » , les deux termes se rapportant, de façon ou d'autre, à l'âme humaine. Certains métaphysiciens modernes ont sagement reconnu qu'il faut faire une distinction entre les mots Mental (pneuma) et Âme (psyché), l'un étant la partie rationnelle et spirituelle, l'autre — psyché — le principe vivant dans l'homme, le souffle qui l'anime (d'anima, âme). Cependant, s'il en est ainsi, comment dans ce cas refuser une âme aux animaux ? Tout autant que l'homme, ceux-ci sont animés par le même principe de vie sensible, le nephesh du IIème chapitre de la Genèse. L'Âme n'est pas du tout le mental, pas plus qu'un idiot privé de ce dernier ne peut être appelé un être « sans âme » . Décrire l'Âme humaine, ainsi que le font les physiologistes, dans ses rapports avec les sens et les appétits, les désirs et les passions, communs à l'homme et à la brute, puis la douer d'un intellect divin, de facultés spirituelles et rationnelles ne pouvant jaillir que d'un monde suprasensible, c'est jeter à jamais un voile de mystère impénétrable sur la question. Et cependant, dans la science moderne, la « psychologie » et le « psychisme » ont trait uniquement au système nerveux, et les phénomènes mentaux sont attribués à l'action moléculaire seule. Le caractère noétique supérieur du Principe-Mental est entièrement ignoré et même rejeté comme une « superstition » par les physiologistes et les psychologues. La psychologie, en fait, est devenue dans beaucoup de cas un synonyme de psychiatrie. C'est pourquoi ceux qui étudient la Théosophie, ne pouvant admettre toutes ces théories, ont adopté la doctrine qui forme la base des philosophies immémoriales de l'Orient. Ce qu'est cette doctrine sera exposé dans la suite de cet article.
Pour mieux comprendre les arguments précédents et ceux qui suivent, le lecteur est prié de se référer à l'éditorial du numéro de septembre de la revue Lucifer ( « Le Double Aspect de la Sagesse » ) ; il y trouvera une explication du double aspect de ce que saint Jacques appelle dans sa Troisième Epître : la sagesse diabolique et terrestre, et la « sagesse d'en haut » . Dans un autre éditorial : « Le Mental Cosmique » (Avril 1890), il est dit également que les anciens Hindous douaient de conscience chaque cellule du corps humain, en lui donnant le nom d'un dieu ou d'une déesse. Parlant des atomes au nom de la science et de la philosophie, le Professeur Ladd les appelle, dans son ouvrage, « des êtres suprasensibles ». L'Occultisme considère chaque atome[1] comme une entité indépendante, et chaque cellule comme une « unité consciente » . Il explique qu'aussitôt que des atomes se groupent pour former des cellules, celles-ci acquièrent une conscience propre à chacune, et un certain libre arbitre leur permettant d'agir dans les limites de la loi. Et nous ne manquons pas de preuves scientifiques à l'appui de ces affirmations, comme le montrent les deux éditoriaux cités précédemment. Plus d'un physiologiste érudit, appartenant à la minorité d'élite de nos jours, est en outre arrivé à la conviction que la mémoire n'a pas de siège, pas d'organe qui lui soit propre dans le cerveau, mais qu'elle a des sièges dans chaque organe du corps.
« II n'y a aucune raison sérieuse pour parler d'un organe spécial ou d'un siège particulier de la mémoire », écrit le Professeur G.T. Ladd[2] . « En vérité, chaque organe, chaque zone et chaque domaine du système nerveux possède sa mémoire propre. » (p. 533, loc. cit.)
Il est donc certain que le siège de la mémoire n'est pas situé en un point précis mais qu'il est disséminé partout dans le corps humain. Localiser son centre dans le cerveau, c'est limiter et rapetisser le Mental Universel et ses Rayons innombrables (les Manasa Putra) qui animent tout mortel doué de raison. Comme nous écrivons tout d'abord pour les théosophes, nous nous soucions peu des préjugés de psychophobie dont font preuve les matérialistes qui pourraient lire ceci, et ricaner dédaigneusement à la mention du « Mental Universel » et de l'aspect noétique supérieur des âmes humaines. Mais qu'est-ce que la mémoire, demandons-nous ? « La transmission des sens et l'image de la mémoire, sont des phases transitoires de conscience », nous répond-on. Mais qu'est-ce que la Conscience elle-même ? — demandons-nous encore. « Nous ne pouvons définir la Conscience » , nous dit le Professeur Ladd[3]. Ainsi ce que nous demande de faire la psychologie physiologique c'est de nous contenter de discuter sur les différents états de conscience en nous servant des hypothèses personnelles et invérifiables d'autres personnes ; et ceci sur « des questions de physiologie cérébrale où experts et novices sont également ignorants », pour employer la remarque caustique de cet auteur. Hypothèse pour hypothèse, nous préférons nous en tenir aux enseignements de nos Voyants plutôt qu'aux conjectures de ceux qui nient à la fois ces Voyants et leur Sagesse. Et cela d'autant plus que ce même savant nous dit honnêtement : « S'il est vrai que la métaphysique et la morale ne peuvent imposer leurs faits et conclusions à la science de la psychologie physiologique... à son tour, cette science ne peut convenablement dicter à la métaphysique et à la morale les conclusions qu'elles tireront des faits de la conscience, en offrant ses mythes et ses fables sous le couvert d'une théorie bien construite des processus cérébraux. » (p.544).
Et puisque la Métaphysique de la physiologie et de la psychologie occultes postule l'existence dans l'homme mortel d'une entité immortelle, d'un « Mental divin » , ou Nous, dont la pâle réflexion, trop souvent dénaturée, est ce que l'on appelle « Mental » et intellect de l'homme — réflexion qui constitue une entité virtuellement distincte de la première durant la période de chaque incarnation — nous disons que les deux sources de ce qu'on appelle « mémoire » se trouvent dans ces deux « principes ». Nous reconnaissons en eux le Manas Supérieur (le Mental ou Ego Supérieur), et le kâma-manas, c'est-à-dire l'intellect rationnel, mais terrestre ou physique, de l'homme, incarné dans la matière, limité par elle et sujet à son influence ; nous distinguons ainsi, d'une part, le Soi omni-conscient, ce qui se réincarne périodiquement — en vérité le VERBE fait chair ! — qui demeure inchangeable, et, d'autre part, sa réflexion ou son « Double » qui change à chaque nouvelle incarnation et personnalité, et n'est donc conscient que pendant la durée d'une vie. Ce dernier « principe » est le Soi inférieur ou ce qui, se manifestant par l'intermédiaire de notre système organique, et agissant sur notre plan d'illusion, s'imagine être le « Je » conscient, et tombe ainsi dans ce que la philosophie bouddhiste appelle « l'hérésie de la séparativité » . Le premier est selon nous L'INDIVIDUALITÉ, le second la Personnalité. Du premier procède tout élément noétique, du second, l'élément psychique, ou la « sagesse terrestre » tout au plus, influencée comme elle l'est par les sollicitations chaotiques des passions humaines, ou plutôt animales, du corps vivant.
L'Ego « Supérieur » ne peut agir directement sur le corps, car sa conscience appartient à un niveau et à des plans d'idéation tout à fait différents ; mais le Soi « Inférieur » en est capable ; et son action, son attitude dépendent de son libre arbitre et du choix qu'il peut faire entre deux voies : graviter vers son père ( « le Père qui est au Ciel » ) ou vers « l'animal » qu'il habite, c'est-à-dire l'homme de chair. « L'Ego Supérieur » étant un fragment de l'essence du MENTAL UNIVERSEL, est inconditionnellement omniscient sur son propre plan mais ne l'est que potentiellement dans notre sphère terrestre, car il ne peut y agir que par l'intermédiaire de son alter ego : le Soi personnel. Mais, bien que le premier soit le véhicule de toute connaissance, passée, présente et future, et bien qu'il soit la source à laquelle son « double » puise parfois des échappées momentanées sur ce qui dépasse les sens de l'homme, échappées que ce double transmet à certaines cellules cérébrales (dont les fonctions sont inconnues de la science), faisant ainsi de l'être humain, un Voyant, un augure et un prophète, cependant, la mémoire des événements passés — surtout ceux qui appartiennent uniquement à la terre — a son siège dans l'Ego personnel seul. Aucun souvenir des activités de la vie quotidienne de nature physique, égoïste ou d'ordre mental inférieur, c'est-à-dire par exemple le boire et le manger, la jouissance des plaisirs personnels sensuels, les opérations commerciales au détriment de son voisin, etc., etc., n'a rien à voir avec le Mental ou Ego « Supérieur » . Ce type de souvenir n'a aucun rapport direct, sur notre plan physique, avec le cerveau ni le cœur, car ces deux organes servent à une puissance plus haute que la Personnalité, mais il est uniquement lié aux organes des passions tels que le foie, l'estomac, la rate, etc. Il est donc naturel de conclure que le souvenir de ces événements terrestres, se réveille d'abord dans l'organe qui fut le premier à induire l'action remémorée dans la suite, et qui en transmit la mémoire à notre « pensée sensorielle » , entièrement distincte de la pensée « supra-sensorielle . Ce ne sont que les formes supérieures de cette dernière, les expériences mentales supra-conscientes qui ont un lien quelconque avec les centres du cerveau et du cœur. D'autre part, le souvenir des actions physiques et égoïstes (ou personnelles), ainsi que des expériences mentales de nature terrestre, et des fonctions purement biologiques, ne peut naturellement être lié qu'à la constitution moléculaire des différents organes kâmiques, et aux « associations dynamiques » des éléments du système nerveux de chacun de ces organes particuliers.
Aussi, lorsque le Professeur Ladd, après avoir montré que tout élément du système nerveux possède une mémoire qui lui est propre, ajoute : « Cette conception appartient à l'essence même de toutes les théories qui considèrent que la reproduction du souvenir mental conscient n'est qu'une forme ou une phase de la mémoire organique biologique » — doit-il inclure dans ces théories l'Enseignement occulte. Car aucun Occultiste ne pourrait exprimer plus correctement cet enseignement que ne le fait le Professeur, lorsqu'il dit en terminant son argumentation : « Nous pourrions donc parler avec raison de la mémoire des organes externes de la vision et de l'ouïe, de la mémoire de la moelle épinière et des différents soi-disant centres des actions réflexes appartenant au bulbe, au cervelet, etc. » Ceci est l'essence de l'Enseignement occulte — même dans les ouvrages Tantra. Oui, en vérité, chaque organe de notre corps a sa mémoire propre. Car s'il est doué d'une conscience « qui lui est propre » , chaque cellule doit nécessairement avoir aussi une mémoire qui lui soit propre, comme aussi une double activité spéciale psychique et noétique. Répondant au double toucher d'une Force physique et métaphysique[4], l'impulsion donnée par la Force psychique (ou psycho-moléculaire) agira de l'extérieur vers l'intérieur, tandis que la Force noétique (l'appellerons-nous Spirituelle-dynamique ?) se manifestera de l'intérieur vers l'extérieur. Car, de même que notre corps est l'enveloppe des « principes » intérieurs : l'âme, le mental, la vie, etc..., de même aussi la molécule, ou la cellule, est le corps dans lequel habitent ses « principes » , les atomes immatériels (pour nos sens et notre compréhension) qui composent la cellule. L'activité de la cellule et la façon dont elle se comporte sont déterminées par l'impulsion interne ou externe qu'elle reçoit, selon qu'elle subit l'influence de la Force noétique ou de la Force psychique, la première n'ayant aucun rapport avec la cellule physique proprement dite. Ainsi donc, tandis que celle-ci agit selon la loi inévitable de la conservation et de la corrélation des énergies physiques, les atomes, étant psycho-spirituels, et non des unités physiques, agissent selon des lois qui leur sont spéciales, exactement comme le fait l' « Être unitaire» du Professeur Ladd, qui est notre « Mental-Ego » , dans son hypothèse scientifique des plus philosophiques. Chaque organe humain, chaque cellule de ces organes, possède un clavier qui lui est propre, semblable à celui d'un piano, avec cette différence qu'il enregistre et émet des sensations au lieu de sons. Chaque touche contient une potentialité de bien ou de mal, un pouvoir créateur d'harmonie ou de discordance. Le résultat dépend de l'impulsion donnée et des combinaisons produites, de la force du toucher de l'artiste à l'œuvre, lequel est une « Unité à double visage » en vérité. Et c'est l'action de l'une ou de l'autre face de l'Unité qui détermine la nature et le caractère dynamique des phénomènes manifestés qui en résultent, que ces derniers soient physiques ou mentaux. Car toute la vie de l'homme est guidée par cette Entité à double visage. Si l'impulsion provient de la « Sagesse d'en haut », la Force en action sera noétique ou spirituelle, et les résultats seront dignes du divin promoteur ; si cette impulsion vient au contraire de la « sagesse terrestre et diabolique » (le pouvoir psychique), les activités de l'homme seront égoïstes, basées exclusivement sur les exigences de sa nature physique, partant animale. Ceci peut paraître parfaitement insensé au lecteur ordinaire, mais tout théosophe doit comprendre ce que nous voulons dire en affirmant qu'il possède en lui des organes manasiques et d'autres kâmiques, bien que les cellules de son corps répondent aussi bien aux impulsions physiques qu'aux spirituelles.
En vérité, ce corps tant profané par le matérialisme et l'homme lui-même, est le temple du Saint Graal, l'Adytum du plus grand de tous les mystères de la nature dans notre univers solaire. Ce corps est une harpe éolienne pourvue de deux séries de cordes, l'une faite de pur argent, l'autre de boyaux. Quand le souffle du divin Fiat caresse doucement les premières, l'homme devient semblable à son Dieu, mais l'autre jeu de cordes ne perçoit pas ce souffle. Il faut un vent terrestre puissant, imprégné d'effluves animaux, pour faire vibrer cette seconde série de cordes. Le mental physique inférieur a pour fonction d'agir sur les organes physiques et sur leurs cellules, mais seul le mental supérieur peut influencer les atomes qui entrent en interaction dans ces cellules, laquelle interaction étant seule capable d'exciter le cerveau, et de lui faire concevoir, par l'intermédiaire du canal rachidien « central », une représentation mentale d'idées spirituelles, bien au-delà des objets de ce plan matériel. Les phénomènes de la conscience divine doivent être considérés comme des activités de notre mental sur un autre plan supérieur, se manifestant par l'intermédiaire de quelque chose de plus subtil que les molécules en mouvement du cerveau. On ne peut les expliquer comme étant la simple résultante des processus physiologiques cérébraux, car, en réalité, ces processus ne font que les conditionner ou leur donner une forme définitive en vue de les manifester d'une façon concrète. L'Occultisme enseigne que les cellules du foie et de la rate sont soumises le plus étroitement à l'action de notre mental « personnel » , le cœur étant l'organe par excellence grâce auquel l'Ego « Supérieur » agit — par l'intermédiaire du Soi inférieur.
La vision, ou le souvenir des événements purement terrestres, ne peut se transmettre directement par l'intermédiaire des perceptions cérébrales, car le cerveau est le réceptacle immédiat des impressions du cœur. Comme il a été dit plus haut, de tels souvenirs terrestres doivent tout d'abord être stimulés et réveillés dans les organes qui furent les créateurs des causes diverses qui donnèrent lieu aux résultats, ou qui les manifestèrent ou y participèrent. En d'autres termes, si ce qu'on appelle « association d'idées » a beaucoup à voir avec ce qu'on appelle le réveil d'un souvenir, les réactions mutuelles et les relations possibles entre « l'Entité mentale » personnelle et les organes du corps humain ont encore beaucoup plus d'influence sur ce souvenir. Un estomac affamé évoque la vision d'un banquet passé, parce que son activité est reflétée et répétée dans le mental personnel. Mais avant même que la mémoire du Soi personnel ne projette la vision qui gît cachée dans les archives où sont accumulées les expériences même les plus insignifiantes de notre vie journalière — la mémoire de l'estomac l'a déjà évoquée. Et il en est de même de tous les organes du corps. Ce sont eux qui font naître, selon leurs besoins et leurs désirs animaux, les étincelles électro-vitales qui illuminent le champ de la conscience de l'Ego inférieur ; et ce sont ces étincelles qui, à leur tour, éveillent les réminiscences contenues dans cet Ego. Tout le corps humain est, ainsi qu'on l'a déjà dit, une vaste table d'harmonie, où chaque cellule conserve toute une série d'impressions en rapport avec l'organe auquel elle appartient, et où chacune de ces cellules possède une mémoire et une conscience propres ou un instinct particulier, si vous préférez l'appeler de ce nom. Ces impressions sont, d'après la nature de l'organe, physiques, psychiques ou mentales, selon qu'elles sont en rapport avec tel plan ou tel autre. On pourrait les appeler « états de conscience » , faute d'un meilleur terme, puisqu'il existe des états de conscience instinctive, mentale et purement abstraite, ou de conscience spirituelle. Si nous faisons remonter l'origine de toutes ses actions « psychiques » à l'activité cérébrale, c'est seulement parce que dans le temple du corps humain, le cerveau est la porte d'entrée, et la seule qui s'ouvre sur l'Espace. Toutes les autres portes sont intérieures, et servent, dans l'enceinte privée, d'ouvertures par lesquelles circulent sans cesse les agents transmetteurs de la mémoire et de la sensation. La clarté, la netteté, l'intensité de celles-ci dépendent de l'état de la santé et de la force organique des transmetteurs. Mais la réalité de cette mémoire et de cette sensation, ou plutôt leur caractère de vérité et d'exactitude, dépend du « principe » qui leur a donné naissance, et de la prépondérance dans le Manas inférieur, de l'élément noétique ou de l'élément phrénique (« kamique » ou terrestre).
Car si, comme l'Occultisme l'enseigne, l'Entité Mental Supérieur, permanente et immortelle, est de l'essence divine homogène « d'Alaya-Akâsha »[5] ou Mahat, sa réflexion, le Mental personnel, est — en tant que « Principe » temporaire — pétri de la substance de la lumière astrale. En tant qu'un pur Rayon du « Fils du Mental Universel », cette Entité ne pourrait accomplir aucune fonction dans le corps et resterait impuissante à agir sur les turbulents organes de matière. C'est pourquoi, tandis que sa conscience intérieure est manasique, son « corps », ou plutôt son essence active, est hétérogène, et pénétrée de lumière astrale, l'élément le plus inférieur de l'Éther. Et c'est un aspect de la mission du Rayon Manasique de se débarrasser de l'élément aveugle et trompeur qui, bien qu'il fasse de lui une entité spirituelle active sur notre plan, le met en contact si étroit avec la matière que sa nature divine s'en trouve complètement obscurcie et ses intuitions paralysées.
Ceci nous amène à voir la différence qui existe entre la pure vision noétique de la clairvoyance et la vision terrestre et psychique de la médiumnité. La première peut s'obtenir dans deux cas : (a) si l'on peut paralyser à volonté la mémoire et l'activité instinctive indépendante de tous les organes matériels et des cellules mêmes du corps de chair, — ce qui devient très facile une fois que la lumière de l'Ego Supérieur a consumé et subjugué définitivement la nature passionnelle de l'Ego personnel inférieur, mais n'est toutefois possible qu'à un adepte ; et (b) si l'être est la réincarnation d'un Ego qui, dans une vie antérieure, est arrivé, grâce à une extrême pureté et à des efforts soutenus, presque à l'état de sainteté du yogi. Il y a une troisième possibilité de s'élever par des visions mystiques au plan du Mental Supérieur ; mais elle est rare et ne dépend pas de la volonté du Voyant, mais de la faiblesse extrême et de l'épuisement du corps matériel par suite de la maladie et de la souffrance. La Voyante de Prévorst en fut un exemple, et Jacob Boëhme illustre notre seconde catégorie. Dans tous les autres cas de vision anormale, de soi-disant clairaudience, clairvoyance ou transe, nous avons tout simplement affaire à la médiumnité.
Mais qu'est-ce qu'un médium ? Le terme médium, ou intermédiaire, quand on ne l'applique pas simplement aux choses et aux objets[6], est censé désigner une personne par laquelle se manifeste ou se transmet l'action d'une autre personne ou d'un autre être. Les spirites, qui croient à la possibilité de communication avec des esprits désincarnés qui peuvent ainsi se manifester par des sensitifs et leur faire transmettre des « messages » , considèrent la médiumnité comme une bénédiction et un grand privilège. Nous, théosophes, qui ne croyons pas à la « communion des esprits » , comme le font les spirites, envisageons la médiumnité comme l'un des dérangements nerveux anormaux les plus dangereux. Un médium est tout simplement un être dont l'Ego personnel, ou le mental terrestre (psuchè), est si imprégné de lumière « astrale » que toute sa constitution physique en est influencée. Chaque organe et chaque cellule sont de ce fait, sujets à une extrême tension anormale et en harmonie de vibration avec elle, pour ainsi dire. Le mental reste toujours plongé dans cette lumière trompeuse, dont l'âme est divine, mais dont le corps — les ondes lumineuses sur les plans inférieurs — est infernal, car ce ne sont que des réflexions obscures et défigurées des impressions passées de la terre. L'œil non exercé du pauvre sensitif ne peut percer le voile sombre, le brouillard opaque des émanations terrestres, pour découvrir au-delà le champ radieux des vérités éternelles. Sa vision n'est pas correctement focalisée. Ses sens, habitués depuis sa naissance aux visions et aux images défigurées et anormales ballotées sur les vagues du kaléidoscope du plan astral (tout comme les sens des enfants des taudis de Londres sont habitués à la puanteur et à la saleté), sont incapables de discerner le vrai du faux. Ainsi, les pâles cadavres sans âme qui jonchent les terrains vagues du « kâma loka » , lui apparaissent comme les images vivantes de ses « chers disparus » ; les échos déformés de voix jadis humaines, traversant son mental, lui suggèrent des phrases bien coordonnées qu'il répète, sans qu'il se rende compte que leur forme définitive bien construite provient des profondeurs de sa propre machinerie cérébrale. C'est ainsi que le spectacle ou l'audition de ce qui aurait glacé d'horreur le cœur du médium, s'il l'avait perçu sous sa forme réelle, le remplit d'un sentiment de béatitude et de confiance. Il croit vraiment que les panoramas immenses qui se déroulent devant lui constituent le monde spirituel réel, l'habitat des anges désincarnés bénis.
Nous donnons ici les traits principaux et les faits généraux de la médiumnité, car nous n'avons pas de place dans un tel article pour parler des exceptions. Nous prétendons — ayant malheureusement passé personnellement à un moment de notre vie par de telles expériences — qu'en général la médiumnité est très dangereuse, et que les expériences psychiques, lorsqu'elles sont acceptées aveuglément, conduisent le médium à tromper les autres en toute honnêteté, parce qu'il est lui-même la première victime de cette duperie. De plus, une association trop étroite avec « l'Ancien Serpent Terrestre » , constitue un danger d'infection morale. Les courants odiques et magnétiques de la lumière astrale incitent souvent au meurtre, à l'ivrognerie, à l'immoralité ; et, comme Éliphas Lévi le dit, les natures qui ne sont pas parfaitement pures peuvent être entraînées la tête la première dans le courant des forces aveugles qui opèrent dans la lumière — par suite des erreurs et des péchés imprimés sur ses vagues.
Voici comment le grand Mage du xix° siècle confirme ce qui précède au sujet de la lumière astrale :
« Nous avons dit que pour acquérir la puissance magique il faut deux choses : dégager la volonté de toute servitude et l'exercer à la domination.
La volonté souveraine [de l'adepte] est représentée dans nos symboles par la femme qui écrase la tête du serpent, et par l'ange radieux qui réprime et contient le dragon sous son pied et sous sa lance.
Déclarons ici sans détours que le grand agent magique, le double courant de lumière, le feu vivant et astral de la terre, a été figuré par le serpent à tête de taureau, de bouc ou de chien, dans les anciennes théogonies. C'est le double serpent du caducée, c'est l'ancien serpent de la Genèse ; mais c'est aussi le serpent d'airain de Moïse, entrelacé autour du tau, c'est-à-dire du lingam générateur ; c'est aussi le bouc du sabbat et le Baphomet des templiers ; c'est l'Hylé des Gnostiques ; c'est la double queue du serpent qui forme les jambes du cop solaire des Abraxas ; c'est enfin le diable de M. Eudes de Mirville, et c'est réellement la force aveugle que les âmes [c'est-à-dire le Manas inférieur ou Nephesh} ont à vaincre pour s'affranchir des chaînes de la terre ; car si leur volonté ne les détache pas de cette aimantation fatale, elles seront absorbées dans le courant par la force qui les a produites, et retourneront au feu central et éternel[7] »
Ce « feu central et éternel » est cette Force de désagrégation qui consume et détruit graduellement le kâmarûpa, ou la « personnalité » , dans le kâma loka où elle passe après la mort. Vraiment, les médiums sont attirés par la lumière astrale ; et c'est la cause directe qui fait que leur « âme » personnelle est absorbée « par la force qui a produit » leurs éléments terrestres. C'est pourquoi le même Occultiste nous dit :
« Toute l'œuvre magique consiste donc à se dégager des replis de l'ancien serpent, puis à lui mettre le pied sur la tête et à le conduire où l'on voudra. Je te donnerai, dit-il dans le mythe évangélique, tous les royaumes de la terre si tu tombes et si tu m'adores. L'initié doit lui répondre : Je ne tomberai pas, et tu ramperas à mes pieds ; tu ne me donneras rien, mais je me servirai de toi et je prendrai ce que je voudrai : car je suis ton Seigneur et ton Maître ! »
Et dans ce cas, l'Ego personnel s'unissant à son père divin, participe à l'immortalité de celui-ci. Autrement...
Mais en voici assez. Béni soit celui qui connaît les pouvoirs doubles à l'œuvre dans la lumière ASTRALE ; trois fois béni celui qui a appris à discerner l'action noétique de l'action psychique du Dieu « Au Double Visage » qui est en lui, et qui connaît la puissance potentielle de son propre Esprit, ou la « Dynamique de l'Âme ».
[1] Un des noms de Brahmâ est anu ou «atome».
[2] ) Professeur de Philosophie à l'Université de Yale.
[3] Éléments de Psychologie Physiologique.
[4] Nous espérons fermement que ce terme non-scientifique ne donnera pas aux « animalistes » une crise de nerfs mortelle.
[5] Un autre nom pour le Mental Universel.
[6] En anglais, le mot médium désigne aussi un milieu, matériel par exemple. (N.d.T.).
[7] Dogme et Rituel de la Haute Magie, cité dans Isis Unveiled (vol. II, ch. VI). (N.d.T.).