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LE VŒU DE SILENCE[1]

    L'un des grands maux — si ce n'est le plus grand — dont est corrompue notre société moderne, est celui du commérage. Paroles injurieuses, ou menus propos animés par un esprit de compétition, non seulement ruinent la réputation des autres mais corrompent aussi notre propre caractère. Nous ne nous en rendons pas compte. La conversation oiseuse est devenue un art et est cultivée comme telle ; l'infamie du commérage a été élevée au rang d'amusement social. On oublie sa nature infâme, ses effets désastreux ne parviennent pas à faire sentir leurs leçons et elle est devenue pour l'homme et la femme d'aujourd'hui une nécessité vitale. Les distractions sociales dans les salons cultivés, comme aussi dans les quartiers les plus sordides, tournent aux mêmes propos et au commérage mesquin.

    Apprendre la valeur du silence est la première exigence de la vie spirituelle. La conservation de l'énergie spirituelle demande que s'arrête toute dispersion des forces de l'âme. Rares sont les voies par où l'on gaspille autant la divinité de l'homme que par le son et la parole. Les déchets et les rebuts de notre nature kâmique trouvent souvent un exutoire dans des paroles inutiles ou injurieuses. Il y a un rapport étroit entre ce qui entre par la bouche, en tant que nourriture, et ce qui en sort, en tant que paroles — et ceci n'est pas une simple analogie métaphorique. L'ingestion des aliments s'accompagne de leur assimilation et de l'élimination des déchets ; la santé du corps s'améliore, ou pâtit, avec chaque morceau que nous absorbons. L'un des moyens importants de déterminer l'état du corps est d'examiner le processus de la digestion et les produits qu'elle élimine. Notre nature psychique a ses propres voies d'assimilation et d'élimination, ses façons propres de se maintenir en bonne ou en mauvaise santé. L'un des modes d'élimination est en rapport avec le pouvoir de la parole.

    Dans le développement spirituel, apprendre et écouter vont de pair ; enseigner et parler viennent ensuite. Dans l'Inde ancienne, au moment où celui qui cherchait la paix de la sagesse décidait de suivre les pas du guru , il gagnait le nom de Shravaka, auditeur. Dans la Grèce antique, on l'appelait Akoustikos. On ne lui permettait même pas de poser des questions ; on lui confiait des bija-sutra, des pensées-semences, pour les méditer et les comprendre au mieux de ses possibilités. Ces pensées servaient de nourriture purificatrice ; assimilées convenablement, elles nettoyaient sa nature kâmique : non seulement elles éliminaient les poisons accumulés du passé, mais elles révélaient à l'élève le processus alchimique correct de transmutation, dans sa constitution propre, de la passion en compassion, de la convoitise en amour et de l'antipathie en sympathie. Une fois engagé dans cette voie, il était prêt à devenir un pratiquant, un acteur positif, un Shramana, l'Asketos des Grecs.

    Notre étudiant théosophe d'aujourd'hui n'a pas reconnu entièrement la signification occulte du silence. Un vœu de silence n'implique pas de devenir muet et de ne pas parler du tout. Il comprend les obligations suivantes : l) s'imposer un silence périodique ; 2.) ne jamais se laisser aller à des paroles blessantes et mensongères ; 3.) ne pas se livrer à d'inutiles discours ; 4.) ne pas poser de questions sur la philosophie ou la pratique tant qu'on n'a pas examiné en profondeur tout ce qui a été enseigné, ou qui est à portée de la main, du point de vue des questions particulières envisagées ; 5). ne pas tomber dans le parler ahankarique, c'est-à-dire ne pas tenir de propos sur le Soi ou Ego Divin avec les termes de la nature kâmique, ou inférieure ; 6.) ne pas s'abandonner à des diatribes injurieuses contre la nature inférieure, ses propres défauts et faiblesses, de peur de leur prêter, en en parlant, la force qui résulte du pouvoir de la parole ; 7.) ne pas parler même de ce qui est vrai si ce n'est aux moments opportuns, aux personnes voulues, dans les circonstances appropriées.

    Pendant que l'on pratique ce septuple exercice, il faut en garder le secret. Faire allusion à l'exercice que nous avons entrepris et que nous pratiquons, c'est le fausser complètement et le rendre pire qu'inutile. Une telle attitude engendre la suffisance et la renforce là où elle existe déjà. Secret et silence sont nécessaires et une contemplation sur leur rapport devrait précéder l'exercice septuple.

    On désire généralement « se livrer à la méditation et pratiquer le yoga », mais cette discipline préliminaire paraît ennuyeuse et on met en doute sa nécessité. Sans nul doute, il est difficile, presque impossible, pour nous, aujourd'hui, de réaliser ce contrôle de la parole ; mais si nous ne pouvons le faire pleinement, et totalement, nous pouvons et devrions le faire au moins en partie.

    Un langage délibéré en sera le premier fruit. Il ne sera pas enraciné dans la passion-kâma mais dans la compassion-buddhi. Il y a deux types de critique : l'une consiste à chercher les défauts ; l'autre à apercevoir la vertu dans des expressions méritoires aussi bien que derrière le vice, le démérite et la faiblesse. Ce qu'il y a de trompeur dans le jeu de hasard, c'est aussi Shri Krishna : pour percevoir cela, il faut le pouvoir qui vient du second type de critique. Le premier est la critique à l'aide du langage de kâma.le second à l'aide de celui de la compréhension ; le premier est situé sur le plan des mots, le second sur le plan des idées ; le premier tient du savoir de tête, le second de la sagesse de l'âme ; le premier loue ou condamne la nature inférieure, le second lui apporte la force de la nature supérieure, provoquant ainsi un réajustement ; le premier a derrière lui l'esprit supérieur d'enseignement, le second, l'esprit sublime d'ouverture à la vérité pour apprendre et répandre ce qui a été appris.

    Comme le monde serait différent si le pouvoir de cette pratique passait, un tant soit peu, dans les actes de notre civilisation ! Journalistes et critiques ne chercheraient pas alors les points à condamner, mais ce qu'il y a de beau, de bon et de valable dans les livres qu'ils analysent pour leurs lecteurs. Dans toutes les affaires de pensée, de sentiment, d'action, que nous considérons, notre tendance est de chercher à voir comment nos pensées sont répétées, nos sentiments reproduits et nos actions imitées. Nous nous considérons comme le modèle de référence pour tout examen ; comme le canon servant à déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux. Une telle attitude n'est pas exprimée de façon criarde, mais se voile dans une forme subtile d'humilité, qui est de la fausse modestie.

   

Il y en a cent qui se jettent dans les eaux de l'océan pour le plaisir et le profit, pour un seul qui plonge à la recherche de la perle de grand prix. Ce dernier se livre à sa tâche dans le secret du silence, et son art dans l'océan est très différent de celui du nageur ordinaire. Ceux qui sont en quête de la perle de la sagesse doivent acquérir la force des muscles, la maîtrise du souffle et la finesse de la nage nécessaires contre les vagues démontées de cet océan du samsâra. Tout cela est tenu caché en sûreté dans le Pouvoir du Silence. Ce pouvoir doit être invoqué, non par un serment fait à quelque autre individu, mais par un vœu chanté silencieusement et enregistré silencieusement dans le sanctuaire du Cœur. Ainsi, le sentier commence dans le silence et le secret, et finit dans l'écoute et le chant du Son insonore.

 

 

[1] (Traduction de l'article « The Vow of Silence »  publié dans la revue The Theosophical Movement, Vol.2, p.60-1 et Vol.30, p.113-5.)

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