Juin 1961 à juillet 1961
Juin 1961
[À propos de l'enseignement et ses différents moyens ‑ l'influence directe et indirecte de l'enseignement ‑ Importance de l'Occultisme.]
Voyons ce qui concerne les masses et leur progrès. Bien sûr, même les gens illettrés peuvent et doivent recevoir la Théosophie. Il est possible d'étudier non seulement en lisant des livres mais aussi en écoutant. La publication des livres ne reflète qu'un aspect du progrès et, comme les autres phases de l'évolution, elle ne durera pas. Comment les chélas étaient-ils instruits dans le passé ? Même aujourd'hui, le véritable entraînement du chéla consiste à écouter une parole, un aphorisme, un sûtra et à méditer dessus ; puis à écouter ce que le guru et les condisciples ont à dire sur le sujet : c'est l'étude en commun. Il y a des symboles pour les chélas, et des mythes, allégories et récits populaires pour les hoi polloi [masses]. Ici, veuillez bien noter ce que dit La Clef concernant la connaissance de la métaphysique par les étudiants, mais enseignant par ailleurs les quatre vérités du carré d'or : Réincarnation, Karma, Fraternité et Unité et Causalité universelles. La sagesse exotérique et la sagesse ésotérique forment la paire archétypique et de là, nous avons de nombreuses dualités, comme la Pâra et Aparâ Vidyâ [1] des Upanishad. Nous qui appartenons à cette civilisation avons l'habitude des livres et, pour cette raison, les Grands Êtres Saints, toujours pleins de grâce et de réflexion, font usage de ce qui est le plus proche du mental et d'accès facile pour lire. C'est pourquoi H.P.B. a écrit et fait des publications. Dans les Échos de l'Orient, Judge traite de ce problème. De même, les pèlerinages étaient une façon d'enseigner, utilisée jadis pour les masses. C'est vraiment un sujet fascinant : comment la Grande Loge s'y est prise pour instruire les gens à des époques et ères différentes.
Ensuite, comment les membres individuels de la L.U.T. peuvent-ils répandre l'enseignement ? A ce qu'il me semble, la plate-forme et la plume sont les deux voies permettant l'enseignement collectif ; la conversation et la correspondance permettent l'enseignement personnel. Ces quatre moyens devraient être tous utilisés ; ensuite vient le plus vital ‑ laisser la vie parler, émettre ses rayons de symboles lumineux. Il me semble que le service pratique n'est pas une fin en soi mais seulement un moyen.
Je ne suis pas contre le service social. "Que chaque homme fasse la preuve de son travail" : cet article fait ressortir les dangers de certaines formes de service social. Par ailleurs, La Clef recommande d'utiliser son âme personnelle comme moyen de fournir aux autres une aide attentive, altruiste et aimante. Je pense que le monde irait mieux si quelques douzaines d'organisations de service social (que je peux nommer) s'arrêtaient de fonctionner. Lisez le tout premier éditorial de Judge dans la revue The Path, vol.1, n°1 ; nous l'avons déjà republié dans la revue The Theosophical Movement..
Et concernant ce problème d'apporter la Théosophie aux masses, je me permettrai d'offrir deux suggestions. Veuillez tout d'abord relire très attentivement l'article cité plus haut de H.P.B. : "Que chaque homme fasse la preuve de son travail" [Cahier Théosophique n°90]. En second lieu, songez à l'influence directe et indirecte de l'action de la L.U.T. sur les masses. Il existe une influence indirecte de la pensée, car il se fait que chaque homme ordinaire de la rue a son propre Manas-Buddhi qui, par le canal d'Âkâsha doit nécessairement être touché. Également, chaque étudiant a son cercle de contacts non théosophiques et les préceptes et l'exemple propres de chacun concourent à véhiculer et apporter la Théosophie. Cela peut paraître pousser les choses bien loin mais réfléchissez à ceci : les Maîtres Bénis sont de Grands Théosophes et nous sommes les masses ignorantes qui se trouvent aidées par Eux. On peut facilement se représenter le Programme qu'Ils suivent. Lisez à ce sujet : "Quelques mots sur la vie journalière" et "La Lettre du Grand Maître" (voir Cahier Théosophique n°4).
Considérez le nombre et la diversité des mentaux et des cœurs qui ont été influencés par l'œuvre de notre L.U.T.. De grandes idées ont été acceptées et des existences transformées dans une mesure considérable, et tant de gens ont été amenés à s'approcher du monde occulte des Maîtres. Cependant, idéaux et aspirations ne sont pas pleinement réalisés. Jusqu'à quel point la L.U.T. a-t-elle suivi le Programme des Maîtres ? Et que signifie apporter la Théosophie aux masses ? Si les gens ne répondent pas à la vérité de Karma et si ce qu'ils veulent est un soulagement physique immédiat, alors nous sommes frappés de la vérité des paroles de H.P.B. déclarant que la Théosophie considère le soulagement et le bien-être de l'âme-mental comme ayant plus de valeur que le soin de nourrir les affamés, de vêtir les gens qui vont nus, etc. Peut-être que si vous vous mettez à nouveau à réfléchir sur toutes ces déclarations de H.P.B. et de ses Maîtres, vous y trouverez de l'aide pour obtenir une meilleure compréhension.
Nos idéaux grandissent et nos aspirations s'approfondissent à mesure que nous réussissons. Nous devons être reconnaissants du fait que nous autres dans la L.U.T. avons été capables de tant accomplir. Plus d'un Hampden [2] de village s'est levé pour combattre et obtenir l'Héritage Divin qui lui revenait. Nous connaissons certains d'entre eux, mais beaucoup nous sont inconnus. Il y a un effet invisible du travail de la L.U.T. que nous accomplissons, en raison de la force de la Science de l'Occultisme que les associés étudient, que les aspirants appliquent et que les fidèles engagés répandent. Alors, en fait, nous avons été fidèles au Programme des Maîtres dans la mesure où nous ne nous en sommes pas écartés et ne l'avons pas brisé. Mais il y a encore plus à faire dans ce domaine.
En ce qui concerne les deux aspects du Mouvement : nous nous sommes attachés dans une mesure considérable à l'aspect le plus large. Prenez nos livres : le nombre d'exemplaires de la Doctrine Secrète [dans l'édition anglaise] que, dans la L.U.T., nous avons mis en circulation est énorme. Qui les a achetés depuis 1925 ? Même chose pour Isis. Ajoutez des milliers d'exemplaires de la Gîtâ et de L'Océan qui ont été distribués. C'est là un indice parmi d'autres. Le nombre de personnes qui signent effectivement notre carte de membre associé de la L.U.T. est très important. Beaucoup d'entre elles abandonnent, mais le contact qu'elles ont eu avec les réunions et les revues de la L.U.T., laisse une trace en elles. Par ailleurs, grâce à la revue The Aryan Path, beaucoup de gens ont pris connaissance de H.P.B. et de Judge. Nous ne sommes pas capables de mettre le doigt exactement sur ce fait et ce nombre mais il me semble que l'influence ici est bien vivante. Très certainement, nos idées se sont trouvées imprimées sur le mental de l'humanité depuis les 70 dernières années. Considérez la chose du point de vue des trois Buts. Dans la perspective de chacun d'eux, le mental collectif est devenu plus théosophique. Un nombre restreint d'individus se sont mis en quête du Sentier et des Maîtres, mais, par ailleurs, beaucoup d'existences ont été améliorées. Le nombre de ceux qui, n'ayant pu devenir "Soleils", ont tenté d'être des "planètes" (La Voix du Silence p.53) n'est pas mince.
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Juillet 1961
[Nous sommes tous "médiocres" (pour l'instant) ‑ la Théosophie pour les masses ‑ nuances concernant l'impersonnalité ‑ allusion à la 2ème guerre mondiale (Londres).]
De gens qui cherchent vraiment, il n'en existe qu'une poignée. Des Intuitions Divines, tous en possèdent et en portent en eux-mêmes ; mais combien sont ceux qui ont le bon Karma d'avoir ne serait-ce qu'une ou deux de ces Intuitions éveillées ? C'est là ce qui est notre trait le plus particulier à nous tous qui nous trouvons dans le Mouvement. Dans ce dernier, les étudiants ne sont ni des érudits ni des mystiques ; nous sommes tous médiocres. Mais qu'est-ce donc qui nous a amenés à ce Mouvement ? Nous y sommes entrés parce que, dans une existence précédente (et pour beaucoup dans la vie actuelle), l'empreinte inhérente des Idées que nous appelons Intuitions Divines s'est trouvée touchée en nous, stimulée et éveillée. Ce toucher ne peut devenir stimulation à moins que la personne ‑ de son côté ‑ ne réponde sous forme d'une aspiration et, quand la stimulation continue, survient l'éveil. À des stades différents, nous nous éveillons progressivement ‑ ou bien nous tardons et remettons à plus tard, et nous allons même jusqu'à mourir dans des actes de vraie folie, de dogmatisme et de superstition. Chacun de nous trouve sur sa route le doute, la suspicion et les peurs de formes diverses. L'œuvre des Maîtres, en particulier avec les individus, et celle de la Grande Loge en rapport avec la masse générale du genre humain, ne sont guère connues ou appréciées de nos étudiants. La phrase de Judge disant que "la Théosophie est pour ceux qui en ont besoin et pour nul autre" concerne vraiment la réponse que nous ressentons dans l'âme personnelle envers le travail de la Loge et des Maîtres. Dans cette idée se trouvent de bonnes suggestions ‑ la Théosophie accomplit un travail silencieux pour beaucoup même si peu de gens y répondent.
La Théosophie est pour tous mais que faire avec ceux qui déclarent n'en avoir pas besoin ? Le Mouvement Théosophique est une Mouvance cachée, ésotérique. Percevons-nous dans les bâtiments ancrés solidement dans le sol le mouvement des protons, neutrons et électrons ? Et pourtant la résistance élastique de n'importe quelle construction, taudis ou palais, se trouve dans ses matériaux et chacun d'eux est fait d'une substance homogène. L'aspect psychologique et moral de ce principe est bien formulé par Judge dans la Lettre 7 du 1er Volume lorsqu'il évoque le fait de se lamenter pour les masses souffrantes.
Il y a aussi cette analogie : pourquoi est-il nécessaire dans l'Inde d'aujourd'hui de faire de l'éducation scolaire une chose non seulement gratuite ‑ ce qui est juste ‑ mais obligatoire ; Pourquoi ? Pourquoi les villageois ne voient-ils pas que l'éducation est bonne pour leurs enfants ? Chaque ivrogne qui souffre sait bien qu'il souffre et pourtant il continue de boire ; et ainsi la prohibition imposée tombe sur le même obstacle. "Le martyre de l'existence soi-consciente" a de nombreuses phases, et cette façon de devenir la proie de l'illusion et de l'égarement ‑ et de demeurer là et même d'en jouir ‑ tout cela correspond à des processus de progrès et d'épanouissement humains. Réfléchissez dans ce sens et vous comprendrez combien il est très difficile de travailler avec la nature humaine et ainsi combien le travail de Compassion et de Sacrifice des Maîtres est empreint d'une profonde patience.
La Théosophie ne peut rien pour les gens qui refusent d'ouvrir la fenêtre de leur mental. Veulent-ils de la lumière ? Alors il faudrait qu'ils deviennent de véritables chercheurs. Ils peuvent faire des emplettes auprès de nombreux vendeurs, mais s'ils sont d'authentiques chercheurs en quête de réponses à de nombreuses questions, ils sont obligés d'en arriver à la seule vérité qui se trouve dans la Philosophie Ésotérique. Cependant, même lorsqu'ils commencent, beaucoup s'arrêtent. Il leur faut arriver au fait vivant que constituent les Enseignements et les Instructeurs. La Sagesse ne s'acquiert pas facilement et il y faut du temps, l'inestimable bienfait que représente le fait d'apprendre la vérité implique des conditions et des demandes particulières dont il faut payer le prix. Je dirais donc : laissez les personnes apathiques après un unique et simple effort. "On trouve de la connaissance sur ce sujet dans notre Théosophie. Souhaitez-vous savoir ? " Notre démarche suivante dépendra de la réponse reçue : attitude de recherche enthousiaste, sarcasmes pleins de doutes ou refus pur et simple, il faudra répondre à chacun avec tact et patience et mettre de la douceur dans notre raisonnement. C'est notre vie et notre vie seule qui les éveillera et, même alors, ce sera souvent par de l'antagonisme exprimé de façons diverses.
La L.U.T. n'offre pas les perspectives tentantes que les personnalités désireraient avec ardeur et que fournissent certaines autres organisations. Mais l'unité complète, la dévotion profonde, la compréhension de nos buts et objectifs sont présentés dans la Déclaration : ce sont ces choses que les étudiants de la L.U.T. doivent apprendre à développer. Disons une fois de plus que si nos étudiants contactaient sans passion les gens qui ne viennent pas à nos réunions et leur faisaient découvrir le fait que nous nous comportons "normalement" et avec bon sens, notre Cause en tirerait bénéfice.
Ce que dit Robert Crosbie à propos de la promulgation impersonnelle est sage. Mais cela ne signifie pas que l'on néglige les personnes. C'est par l'effet du travail impersonnel que les personnes se lèvent, se mettent à chercher et trouvent leurs propres affinités. R. Crosbie avait ses fidèles propres, personnels. C'est à eux qu'il écrivit toutes les lettres contenues dans le Friendly Philosopher. Par tous les moyens possibles, il convient que l'étudiant parle de Théosophie dans son propre cercle, encore faut-il qu'il procède de la bonne façon. Qu'a-t-il étudié et comment ? Et puis, que va-t-il dire, et comment ? Va-t-il se mettre en avant et s'interposer entre son ami et la Théosophie, ou bien va-t-il vraiment laisser parler la Théosophie à ses interlocuteurs par l'intermédiaire de sa langue ou de sa plume ? Conversation et correspondance sont des voies de promulgation autant que le fait de faire des conférences et d'écrire des articles. Tout dépend de la personne à laquelle nous parlons ou écrivons personnellement, et de notre motif et du moyen employé.
Il est vrai que c'est seulement quand nous essayons de répandre la philosophie [de la Théosophie] que nous mesurons nos limites ; l'acte d'enseigner les autres ‑ que ce soit par des conférences ou des écrits ‑ nous fait ressortir aussi combien nous avons appris. En ce qui concerne les conférenciers, vous savez ce que dit la Lumière sur le Sentier. "Atteins à la connaissance et tu atteindras à la parole" [p.27]. Il faut dire que c'est la connaissance intérieure qui donne force et clarté lumineuse au discours et il est possible à nos étudiants, s'ils s'aident de la méditation et de la pratique de vie nécessaire, de devenir des transmetteurs de la force du monde occulte des Maîtres au public en général. Mais nos étudiants et nos travailleurs de plate-forme doivent développer l'attitude de compréhension du fait qu'ils sont là afin de servir de canaux : pour une telle entreprise il faudrait une préparation correcte du corps, du mental et du cœur.
W.Q. Judge a écrit et nous a dit ‑ n'est-ce pas ? ‑ que nous ne travaillons pas pour le "succès" mais plutôt que nous sommes en train de développer en nous-mêmes la persistance de l'effort ‑ celui de se trouver toujours prêt à présenter les Enseignements et à rencontrer et aider les autres, car c'est là finalement ce qui va compter et permettre aussi de faire venir les accrétions qu'attire la véritable unité.
Il nous faut démolir dans la pensée des gens la notion que la L.U.T. appartient à telle et telle personne ‑ notion qui résulte principalement du fait que l'on ne voit pas la véritable connexion qui existe entre l'auto-dépendance et l'interdépendance. Ou bien les gens s'entêtent dans l'auto-dépendance ou bien ils tiennent vaguement à la dépendance des autres et n'ont guère d'idées sur l'interdépendance. Il nous faut insister sur le mot "United" ["Unie" ‑ dans l'expression "Loge Unie des Théosophes"].
La Théosophie, c'est ce qu'il nous faut servir, et non une croyance, une organisation ou une Loge. N'oublions pas non plus que la Sagesse n'est pas la seule propriété de cette Loge qui est faite d'un ensemble de personnes qui apprennent. Mettons-nous à la recherche de la Vérité avec des yeux qui inspectent en profondeur dans tous les espaces ‑ petits ou grands ‑ dans l'atome comme dans l'immensité des cieux et des firmaments.
Il est réconfortant d'apprendre que vos activités sont maintenues malgré les conditions actuelles et cela nous réchauffe le cœur, nous qui ne sommes pas pris dans la tragédie de la guerre ‑ comme vous, à Londres, qui devez apprendre que le pouvoir et l'influence bénéfiques de la Théosophie vous servent de soutien. Tant que le travail du Centre de Londres peut continuer, il faut le maintenir car il y a plus que les effets visibles des mots prononcés et des réunions tenues, qui n'affectent directement qu'un petit nombre mais qui, de façon invisible, influencent et dynamisent un plus grand nombre. Pour reprendre les termes de la lettre que vous citez de H.P.B., Vous l'emporterez, en vous tenant fermement aux Lignes d'action qu'elle a établies. Nos pensées sont chaque jour avec nos collègues et compagnons de travail partout dans le monde, et avec vous, parmi tous ceux-là. Vous êtes en train de traverser des temps très éprouvants mais c'est aussi une opportunité pour pratiquer le calme, maintenir une ferme position correcte et la soutenir par des pensées justes et droites.
« Si les doctrines théosophiques doivent être bénéfiques à l’humanité, elles doivent être accessibles à toutes les classes, pauvres et riches, cultivées et incultes, jeunes et âgées. Certains pensent que ces doctrines ne sont réellement compréhensibles que par les personnes instruites et cultivées ; mais qu’a montré l’expérience ? La propagande théosophique a progressé malgré une opposition et une froideur considérables de la part des classes dites supérieures. Il est vrai que les classes laborieuses ne l’ont pas soutenue et qu’elles n’en savent pas grand-chose dans leur ensemble ; pourtant, cette partie indéfinie de la population parfois appelée « classe moyenne » en a été le grand propagateur et le principal soutien. » — W. Q. Judge
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[1] [La Science Suprême, ou absolue, et la Science inférieure, ou relative. Voir, par exemple, la Mundaka Upanishad, I, 4 ‑ Cahier Théosophique, n°155, p.4.]
[2] [John Hampden (v.1595-1643). Homme politique anglais fermement opposé à l'arbitraire monarchique, qui joua un rôle décisif au début de la guerre civile.]