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L'ACTION PSYCHIQUE ET NOÉTIQUE (1ère partie)

 

«...J'ai créé l'homme juste et bon, Capable de rester droit, mais libre de tomber ; Et J'ai créé de même tous les pouvoirs éthérés, Les esprits qui tombèrent et ceux qui triomphèrent. Vraiment ceux qui vainquirent devaient vaincre, Ceux qui tombèrent devaient tomber... »

MILTON.

 

«...L'hypothèse que le mental est un être réel qui peut être influencé par le cerveau, et qui peut agir sur le corps par le cerveau, est la seule qui soit compatible avec tous les faits expérimentaux. »

George T. LADD.

(Éléments de Psychologie physiologique).

-- I --

Une nouvelle influence, un souffle, un son — « comme celui d'un vent puissant de tempête » — a passé soudain sur quelques fronts théosophiques. Une idée, vague d'abord, a pris bientôt une forme définie, et travaille activement en ce moment le mental de certains de nos membres. Voici l'idée en question : si nous voulons convertir autrui, les quelques enseignements jusqu'ici occultes, mais qui sont destinés à devenir publics, devraient désormais être sinon identiques à ceux de la science moderne, tout au moins plus conformes à celle-ci. Les enseignements prétendus ésotériques [1] (ou anciennement ésotériques), concernant la cosmogonie, l'anthropologie, l'ethnologie, la géologie, la psychologie et surtout la métaphysique, ayant été adaptés à la pensée moderne (donc matérialiste), et mis d'accord avec elle, ne devraient plus jamais, nous conseille-t-on fortement, contredire la « philosophie scientifique » (pas ouvertement du moins). Celle-ci signifie, supposons-nous, les vues fondamentales et acceptées des grandes écoles allemandes, ou de Herbert Spencer, ou encore d'autres célébrités anglaises de moindre importance ; et à ces vues, il nous faut ajouter les déductions qu'ont pu en tirer les disciples plus ou moins instruits de ces sommités.

Vraiment, c'est là une vaste entreprise et, de plus, en parfait accord avec la politique des casuistes médiévaux qui altérèrent la vérité et même la supprimèrent si elle contredisait la Révélation divine. Inutile de dire que nous refusons ce compromis. Il est très possible, voire même probable et inévitable, que les « erreurs commises » en traduisant des enseignements métaphysiques aussi abstrus que ceux contenus dans l'Occultisme oriental soient fréquentes et même importantes. Mais dans ce cas toutes sont dues aux interprètes et ne sont pas inhérentes au système lui-même. Elles doivent être corrigées d'après la même Doctrine, vérifiées selon les enseignements qui se sont développés sur le sol riche et ferme de la Gupta Vidyâ, et non selon les spéculations qui naissent aujourd'hui, pour mourir demain, sur les sables mouvants des conjectures scientifiques modernes, surtout en tout ce qui concerne la psychologie et les phénomènes mentaux. Nous en tenant à notre devise : « II n'y a pas de religion supérieure à la vérité » , nous nous refusons absolument à faire aucune concession à la science physique. Disons cependant ceci : Si les prétendues sciences exactes limitaient leur activité au seul règne physique de la Nature, si elles ne s'occupaient strictement que de chirurgie, de chimie — jusqu'à ses limites légitimes, — et de physiologie, pour autant que celle-ci étudie la structure de notre organisme, alors vraiment les Occultistes seraient les premiers à chercher de l'aide dans les sciences modernes, en dépit de leurs nombreuses bévues et erreurs. Mais une fois que les physiologistes de l'école moderne « animaliste », sortant du cadre de la Nature matérielle[2] prétendent se mêler des fonctions supérieures et des phénomènes du mental, et se prononcer sur ceux-ci ex-cathedra, en disant qu'une analyse serrée les a conduits à la ferme conviction que l'homme pas plus que l'animal n'est libre et encore moins responsable — alors l'Occultiste a beaucoup plus le droit de protester que l' « Idéaliste » moderne. Et l'Occultiste affirme qu'aucun matérialiste — qui n'est jamais qu'un témoin partial, aux idées préconçues — ne peut prétendre à une autorité quelconque en matière de physiologie mentale, ou de ce qu'il appelle maintenant la physiologie de l'âme. Un tel mot ne peut s'appliquer à l'âme, à moins vraiment qu'on entende seulement par âme le mental inférieur psychique, ou ce qui se manifeste comme l'intellect dans l'homme (proportionnellement à la perfection de son cerveau) et comme l'instinct supérieur dans l'animal. Mais depuis que le grand Charles Darwin a enseigné que « nos idées sont des mouvements animaux de l'organe de la sensation » , tout est devenu possible au physiologiste moderne.

Ainsi, dussions-nous chagriner nos membres à tendance scientifique, nous considérons une fois de plus comme le devoir de la revue Lucifer de montrer combien nous sommes en désaccord avec la science exacte, ou plutôt combien les conclusions de cette science sont éloignées de la vérité et des faits. Par « science » nous entendons naturellement, la majorité des hommes de science, car la minorité la meilleure se range, nous sommes heureux de le dire, à nos côtés, du moins en ce qui concerne le libre arbitre dans l'homme et l'immatérialité de son mental. L'étude de la «  physiologie » de l'âme, de la Volonté dans l'homme, et de sa Conscience supérieure au point de vue du génie et des facultés qu'il manifeste, ne peut en aucun cas se résumer en un système d'idées générales représentées par de brèves formules ; pas plus que la psychologie de la nature matérielle, avec ses nombreux mystères, ne peut s'expliquer par la simple analyse de ses phénomènes physiques. // n'y a pas d'organe spécial de la volonté, pas plus qu'il n'existe de base physique pour les activités de la soi-conscience.

« Si l'on se demande quelle est la base physique pour les activités de la soi-conscience, on ne trouve aucune réponse à donner, ni à suggérer... De par sa nature même, cette action merveilleuse du mental qui se contrôle, et dans laquelle il reconnaît comme siens les états qu'il traverse, n'a rien de correspondant ni d'analogue dans le substratum matériel. Il est impossible de spécifier un processus physiologique quelconque représentant cette action unificatrice de la soi-conscience ; il est même impossible d'imaginer comment la description d'un tel processus pourrait être mise en relation intelligible avec ce pouvoir mental unique [3] »

Ainsi l'on pourrait mettre au défi tout le conclave des psycho-physiologistes en leur demandant de définir correctement la Conscience ; ils seraient bien incapables de le faire car la Soi-conscience appartient en propre à l'homme, et procède du soi, le Manas supérieur. Seulement, comme l'élément psychique (ou kama-manas) [4] est commun à l'animal et à l'être humain — le développement beaucoup plus grand de ce principe chez l'homme étant dû uniquement à une perfection et une sensibilité plus accentuées de ses cellules cérébrales — aucun physiologiste, même le plus habile ne pourra jamais résoudre le mystère du mental humain dans sa manifestation spirituelle la plus haute, ou dans son aspect double : psychique et noétique (ou manasique)[5], ni même comprendre les complications de son aspect psychique sur le plan purement matériel, à moins qu'il ne reconnaisse dans une certaine mesure et soit prêt à admettre l'existence de cet élément double. Ceci signifie qu'il devrait admettre un mental inférieur (animal), et un supérieur (ou divin) dans l'homme, ou ce qui est connu en Occultisme sous le nom d'Ego « personnel » et d'Ego « impersonnel » . Car entre le mental psychique et le noétique, entre la Personnalité et l'Individualité existe le même abîme qu'entre un « Jack l'Éventreur » et un saint Bouddha. Tant que les physiologistes n'accepteront pas ceci, ils s'embourberont sans cesse dans les difficultés. Nous avons l'intention de le prouver.

Comme chacun le sait, la grande majorité de nos savants « saints Thomas » rejettent l'idée du libre arbitre. Ce problème occupe l'esprit des penseurs depuis des âges ; toutes les écoles de pensée ont essayé de le résoudre, et l'ont abandonné sans s'être rapprochées d'un pas de la solution. Cette question reste donc une des plus grandes difficultés philosophiques, ce qui n'empêche pas les « psycho-physiologistes » modernes de prétendre de la façon la plus froide et prétentieuse avoir définitivement tranché le nœud gordien. Pour eux, le sentiment du libre arbitre personnel est une erreur, une illusion, « l'hallucination collective de l'humanité » . Cette conviction part du principe qu'aucune activité mentale n'est possible sans un cerveau, et qu'il ne peut y avoir de cerveau sans corps. Et comme de plus ce dernier est sujet aux lois générales d'un monde matériel où tout est basé sur la nécessité et où il n'y a aucune spontanéité, nos psycho-physiologistes modernes sont obligés, qu'ils le veuillent ou non, de répudier toute spontanéité personnelle dans les actes de l'homme. Voici, par exemple, un professeur de physiologie de Lausanne, A. A. Herzen, pour qui l'idée du libre arbitre dans l'homme apparaît comme une absurdité non-scientifique à l'extrême. Voyez ce que dit cet oracle :

« Dans le laboratoire physique et chimique illimité qui entoure l'homme, la vie organique ne représente qu'un groupe sans importance de phénomènes ; et, parmi ceux-ci la place qu'occupe la vie ayant atteint au stade de la conscience est si minime qu'il est absurde d'exclure l'homme de la sphère d'action d'une loi générale, dans le but de lui conférer une spontanéité subjective ou un libre arbitre en dehors de cette loi. » (Psycho-physiologie générale).

Pour l'Occultisme, qui connaît la différence entre les éléments psychiques et noétiques dans l'homme, cette affirmation est une pure niaiserie en dépit de sa base scientifique judicieuse. Car lorsque l'auteur pose la question : « Où disparaît le mouvement après avoir atteint les centres sensoriels, si les phénomènes psychiques ne représentent pas le résultat d'une activité moléculaire ? » , nous lui répondrons que nous n'avons jamais contesté ce fait. Mais qu'est-ce que cela a à voir avec le libre arbitre ? C'est un ancien axiome occulte que tout phénomène de l'Univers visible a sa genèse dans le mouvement, et nous ne doutons nullement que le psycho-physiologiste se mettrait en désaccord avec tout le conclave des disciples de la science exacte s'il soutenait l'idée qu'à un moment donné tout un ensemble de phénomènes physiques puisse disparaître dans le vide. Ainsi, quand l'auteur de l'ouvrage précité prétend que ladite force ne disparaît pas en atteignant les centres nerveux supérieurs, mais qu'elle se transforme aussitôt en une autre catégorie, celle des manifestations psychiques (pensées, sentiments et conscience) exactement comme cette même force psychique lorsqu'on l'applique à un travail d'ordre physique (par exemple musculaire), se transforme en énergie musculaire - l'Occultisme l'approuve, car il est le premier à déclarer que toute activité psychique, depuis ses manifestations les plus basses jusqu'aux plus élevées, n'est « rien que du mouvement » .

Oui, c'est du MOUVEMENT, mais pas uniquement du mouvement « moléculaire » , comme l'auteur voudrait nous le faire croire. Le mouvement en tant que le GRAND SOUFFLE   (voir The Secret Doctrine, premier volume) - et par conséquent « le son », tout à la fois - est le substratum du Mouvement Cosmique. Il est sans commencement et sans fin, la vie éternelle une, la base et la genèse de l'univers, subjectif et objectif, car la VIE (ou l'Être) est le fondement et l'origine de l'existence ou de l'être. Mais le mouvement moléculaire en est la manifestation finie la plus basse et la plus matérielle. Et si la loi générale de la conservation de l'énergie conduit la science moderne à la conclusion que l'activité psychique ne représente qu'une forme spéciale du mouvement, cette même loi, guidant les Occultistes, les mène à une conclusion identique, mais augmentée d'un point que les psycho-physiologistes laissent entièrement de côté. Si ceux-ci ont découvert, dans ce siècle seulement, que l'action psychique (nous disons même spirituelle) est soumise aux mêmes lois générales et immuables du mouvement que tout autre phénomène se manifestant dans le monde objectif du Cosmos, et que, dans les règnes organiques et inorganiques ( ? ), toute manifestation, consciente ou inconsciente, ne représente que le résultat d'une collectivité de causes, ceci ne constitue en Philosophie Occulte que l'ABC de cette science. « Le Monde entier est dans le Svara ; Svara est l'Esprit lui-même » - la VIE UNE ou le mouvement, disent les anciens livres de la Philosophie Occulte hindoue. « La traduction correcte du mot Svara est le courant de la vague de vie » , dit l'auteur du livre « Les Forces Subtiles de la Nature »[6], et il poursuit son explication :

« C'est ce mouvement ondulatoire qui est la cause de l'évolution transformant la matière cosmique non différenciée en un univers différencié... D'où vient ce mouvement ? Ce mouvement est l'esprit lui-même. Le mot âtma (âme universelle) employé dans le livre (voir ci-après), donne lui-même l'idée du mouvement éternel, ce mot provenant de la racine AT qui signifie mouvement éternel. Il est, de plus, intéressant de noter que cette racine AT est apparentée aux racines AH, souffle, et AS, être, et n'en est, en réalité, qu'une autre forme. Toutes ces racines ont leur origine dans le son produit par le souffle des animaux (être vivants)... Le courant primitif de la vague de vie est identique à celui qui assume dans l'homme la forme du mouvement inspiratoire et expiratoire des poumons, et c'est lui la cause universelle de l'évolution et de l'involution de l'univers... »

En voici assez au sujet du mouvement et de la « conservation de l'énergie » , puisé dans les anciens livres de magie, écrits des âges avant la naissance de la science exacte et inductive moderne. Car qu'est-ce que celle-ci dit de plus, en parlant, par exemple, du mécanisme animal, lorsqu'elle énonce ce qui suit :

« De l'atome visible au corps céleste perdu dans l'espace, tout est sujet au mouvement... ; maintenues à une distance définie les unes des autres, proportionnellement au mouvement qui les anime, les molécules restent dans des rapports constants qu'elles ne perdent que par l'addition ou la soustraction d'une certaine quantité de mouvement [7] »

Mais l'Occultisme va plus loin. Tout en faisant du mouvement sur le plan matériel et de la conservation de l'énergie, deux lois fondamentales, ou plutôt deux aspects de la même loi omniprésente (Svara) il nie absolument qu'elles aient quoi que ce soit à voir avec le libre arbitre de l'homme, qui appartient à un plan tout différent. L'auteur de la « Psychophysiologie Générale » parlant de sa découverte que l'action psychique n'est que mouvement, et le résultat d'une collectivité de causes, remarque que, s'il en est bien ainsi, il ne saurait y avoir de discussion au sujet de la spontanéité, dans le sens d'une impulsion native interne créée par l'organisme humain ; et il ajoute que ceci met fin à toute prétention au libre arbitre !  L'Occultiste rejette la conclusion. Le fait réel de l'individualité psychique (nous disons manasique ou noétique) de l'homme est un argument suffisant pour détruire cette affirmation ; car si cette conclusion était correcte, ou si le libre arbitre était vraiment, comme l'auteur l'exprime, l'hallucination collective de l'humanité entière au cours des âges, l'individualité psychique elle-même cesserait d'exister.

Par individualité « psychique » nous voulons dire ce pouvoir qui se détermine lui-même et qui permet à un homme de surmonter les circonstances. Placez une demi-douzaine d'animaux de la même espèce dans les mêmes conditions, et leurs actions sans être identiques seront très similaires ; placez au contraire une demi-douzaine d'hommes dans les mêmes conditions, et leurs actions seront aussi différentes que leurs caractères, c'est-à-dire que leurs individualités psychiques. Mais si au lieu de « psychique » nous l'appelons la Volonté Soi-Consciente supérieure, comment les matérialistes pourront-ils l'apparenter au mouvement « moléculaire » , puisque la psychophysiologie nous a prouvé que la Volonté n'avait pas d'organe spécial ? Comme le dit le Professeur George T. Ladd :

« Les phénomènes de la conscience humaine doivent être considérés comme des activités d'une autre forme de l'Étre Réel que les molécules en mouvement du cerveau. Ils exigent un sujet ou un terrain qui, par sa nature même, est différent des graisses phosphorées des masses nerveuses centrales formées des fibres et des cellules nerveuses agglomérées du cortex cérébral. Cet Être Réel, qui se manifeste ainsi directement à lui-même par le phénomène de la conscience, et indirectement aux autres par les changements corporels, est le Mental (manas). C'est à lui qu'on doit attribuer les phénomènes mentaux, du fait qu'ils montrent ce qu'il est par ce qu'il fait. Les soi-disant « facultés » mentales ne sont que les modes de comportement dans le champ de conscience de cet être réel. Nous découvrons effectivement, grâce à la seule méthode en notre pouvoir, que cet être réel, appelé Mental, croit en certains modes se répétant à l'infini ; c'est pourquoi nous lui attribuons certaines facultés... Les facultés mentales ne sont pas des entités ayant une existence indépendante... Ce sont des façons d'être du mental sur le plan de la conscience. Et la nature même des actes distincts qui se classent en catégories diverses, ne s'explique que si l'on admet l'existence d'un Être Réel appelé Mental, qui doit être distingué des êtres réels connus comme les molécules physiques de la masse nerveuse cérébrale [8]. »

Puis ayant démontré que nous devons considérer la conscience comme une unité (un autre axiome occulte), l'auteur ajoute :

« Nous concluons donc, des considérations précédentes que le sujet de tous les états de conscience est un être unique réel appelé Mental, qui est d'une nature non-matérielle, agit et se développe selon des lois qui lui sont propres, mais est spécialement en rapport avec certaines molécules et masses matérielles constituant la substance du cerveau [9]. »

Le « Mental » c'est Manas, ou plutôt sa réflexion inférieure qui, dès qu'elle se dégage pour un moment de kâma, devient le guide des facultés mentales les plus hautes et est l'organe du libre arbitre dans l'homme physique. Par conséquent, la prétention de la nouvelle psychophysiologie est sans fondement, et l'impossibilité apparente de réconcilier le libre arbitre avec la loi de la conservation de l'énergie est un pur sophisme. Ceci fut amplement prouvé dans une critique de l'ouvrage parue dans les « Lettres Scientifiques » d' « Elpay » . Mais nous ne croyons pas qu'il faille invoquer une autorité aussi haute (à notre avis, du moins) que celle des lois occultes, pour résoudre définitivement la question ; il suffit d'un peu de bon sens. Analysons impartialement ce problème.

Un homme, censé être un savant, postule que puisque « l'action psychique se trouve soumise aux lois générales et immuables du mouvement, il ne peut y avoir de libre arbitre dans l'homme » . La « méthode analytique des sciences exactes » l'a démontré, et les savants matérialistes ont décrété qu'il fallait faire admettre la conclusion par leurs disciples. Mais il existe d'autres savants beaucoup plus grands qui pensent différemment. Par exemple Sir William Lawrence, l'éminent chirurgien, a déclaré dans ses conférences[10] :

« La doctrine philosophique de l'âme et de son existence séparée n'a rien à voir avec cette question physiologique, mais repose sur une espèce de preuve tout à fait différente. Ces dogmes sublimes n'auraient jamais pu voir le jour à la suite des travaux des anatomistes et des physiologistes. Un être immatériel et spirituel ne pouvait être découvert dans le sang et les impuretés d'une salle de dissection. »

Examinons maintenant, d'après le témoignage des matérialistes, comment ce dissolvant universel appelé « méthode analytique » s'applique dans le cas spécial qui nous occupe. L'auteur de la Psychophysiologie décompose l'activité psychique en ses éléments constituants, les ramène au mouvement et, ne pouvant y trouver la moindre trace de libre arbitre ou de spontanéité, conclut immédiatement que ces derniers n'existent pas en général et qu'on ne peut les découvrir dans l'activité psychique qu'il vient d'analyser. « Le caractère fallacieux et erroné d'un procédé aussi peu scientifique ne saute-t-il pas aux yeux ? » demande son critique : et il arguë avec raison :

« À ce compte-là, partant du point de vue de cette méthode analytique, on pourrait tout aussi bien nier tous les phénomènes de la nature sans exception. Car le son et la lumière, la chaleur et l'électricité, comme tous les autres processus chimiques, ne conduisent-ils pas l'expérimentateur à un mouvement unique et identique, dès qu'on les décompose en leurs éléments respectifs, mouvement dans lequel disparaissent toutes les particularités des éléments donnés, ne laissant après eux que « les vibrations des molécules » ? Mais s'ensuit-il nécessairement pour cela, que la lumière, la chaleur, l'électricité ne sont que des illusions, au lieu de manifestations authentiques des particularités de notre monde réel ? Ces particularités ne peuvent naturellement se découvrir dans les éléments composants, tout simplement parce que nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'une partie renferme toutes les propriétés du tout. Que dirions-nous d'un chimiste qui, ayant décomposé l'eau en ses constituants, l'hydrogène et l'oxygène, sans y trouver les propriétés spéciales de l'eau, prétendrait qu'ils n'existent pas et ne peuvent se rencontrer dans l'eau ? Et que penserions-nous d'un archéologue qui, examinant d'anciens manuscrits et ne trouvant aucun sens dans les caractères séparés, affirmerait qu'aucun document imprimé n'a de signification ? Et cependant n'est-ce pas ce que fait l'auteur de la « Psychophysiologie » , lorsqu'il nie l'existence du libre arbitre et de la spontanéité dans l'homme, en partant du principe que cette faculté distincte de l'activité psychique la plus haute est absente des éléments composés qu'il a analysés ? »

Sans aucun doute, ce n'est pas dans des fragments séparés de brique, de bois ou de fer qui constituèrent à un moment donné un édifice actuellement en ruines que l'on peut espérer retrouver la plus légère trace de l'architecture de cet édifice — c'est du moins une impossibilité pour un chimiste, mais non pour un psychomètre. Disons-le en passant, cette faculté du psychomètre démontre beaucoup plus puissamment qu'aucune autre science physique la loi de la conservation de l'énergie, et prouve qu'elle agit autant dans les mondes subjectifs et psychiques que sur les plans objectifs et matériels. La genèse du son sur notre plan doit être recherchée dans le même mouvement ; et la même corrélation de forces est autant en jeu au cours de ce phénomène qu'au cours de n'importe quelle autre manifestation. Le physicien qui décompose le son en ses éléments constitutifs, ou vibrations, et n'y trouve aucune harmonie ou mélodie spéciale, niera-t-il pour cela l'existence de cette dernière ? Ceci ne prouve-t-il pas que la méthode analytique s'occupant exclusivement des éléments, et pas du tout de leurs combinaisons, conduit le physicien à parler à tort et à travers du mouvement, des vibrations, etc..., et lui fait perdre entièrement de vue l'harmonie produite par certaines combinaisons de ce mouvement, ou l' « harmonie des vibrations » ? II est donc juste d'accuser la psychophysiologie matérialiste de négliger ces distinctions si importantes ; juste aussi de maintenir que si une observation soigneuse des faits est un devoir lorsqu'il s'agit des phénomènes physiques les plus simples elle doit l'être encore plus lorsqu'il est question des forces et des facultés psychiques si complexes et si importantes. Et cependant, dans la plupart des cas, ces différences essentielles sont négligées, et la méthode analytique est appliquée d'une façon arbitraire et tendancieuse. Quoi d'étonnant alors à ce qu'en réduisant l'action psychique à ses éléments fondamentaux de mouvement le psycho-physiologiste la prive, par ce procédé, de ses caractéristiques essentielles, et par là la détruise ; puis, l'ayant détruite, il est logique qu'il soit incapable d'y trouver encore ce qui n'existe plus en elle. Il oublie en somme, ou plutôt ignore à dessein le fait suivant : bien que, comme tous les autres phénomènes du plan matériel, les manifestations psychiques doivent en analyse finale, être reliées au monde des vibrations (le « son » étant le substratum de l'Akâsha universel), cependant, à leur origine, elles appartiennent à un monde différent et supérieur d'HARMONIE. Elpay a quelques phrases sévères, qui valent la peine d'être signalées, contre les prétentions de ceux qu'il appelle les « physico-biologistes » .

« Inconscients de leur erreur, les psycho-physiologistes confondent les éléments constitutifs de l'activité psychique avec cette activité elle-même ; de là la conclusion à laquelle ils arrivent par la méthode analytique : la caractéristique la plus haute de l'âme humaine — le libre arbitre, la spontanéité — est une illusion, et n'a aucune réalité psychique. Mais, comme nous venons de le montrer, une telle conclusion n'a rien de commun avec la science exacte mais est tout simplement inadmissible, puisqu'elle contredit toutes les lois fondamentales de la logique et, par conséquent, toutes ces déductions soi-disant physico-biologiques émanant de la dite conclusion se réduisent à zéro. Ainsi, faire remonter l'action psychique au mouvement ne prouve pas du tout que le « libre arbitre est une illusion » . Et comme l'on ne peut nier la réalité des qualités spécifiques de l'eau, sous prétexte qu'on ne les retrouve pas dans les gaz qui la composent, de même aussi on ne peut refuser la spontanéité à l'action psychique, bien que cette propriété ne se rencontre pas dans les éléments finis de l'activité psychique, disséquée sous le scalpel mental des psycho-physiologistes. »

Cette méthode est « un trait caractéristique de la science moderne qui s'efforce de satisfaire le besoin d'investigation de la nature essentielle des objets qu'elle étudie, en donnant une description détaillée de leur développement », dit G. T. Ladd. Et l'auteur de « Éléments de Psychologie-physiologique » , ajoute :

« Le processus universel du « Devenir » a été presque personnifié et déifié dans le but d'en faire la base réelle de toute existence finie et concrète... Cette tentative vise à ramener tous les prétendus développements du mental à l'évolution de la substance cérébrale se poursuivant à la suite de causes purement physiques et mécaniques. Elle nie donc la nécessité de l'hypothèse de l'existence d'un être unitaire réel appelé Mental et subissant un développement selon des lois qui lui sont propres. D'autre part, tous les efforts faits en vue d'expliquer l'accroissement progressif de la complexité et de l'universalité des phénomènes mentaux, en les ramenant à l'évolution physique du cerveau, restent fort peu satisfaisants pour beaucoup d'esprits. Nous n'hésitons pas à nous ranger parmi ceux-ci. Les faits expérimentaux qui montrent un rapport entre le développement du corps et celui du mental, et même une certaine dépendance de ce dernier vis-à-vis du corps, doivent naturellement être admis ; mais ils s'accordent parfaitement avec un autre point de vue du développement du mental. Cet autre point de vue a de plus l'avantage d'expliquer beaucoup d'autres faits qu'il est difficile de réconcilier avec la théorie matérialiste. En somme, l'histoire des expériences de chaque individu exige qu'on admette l'existence d'un être unitaire réel (un Mental) qui subit un processus de développement marchant de pair avec la condition changeante ou l'évolution du cerveau, mais s'accomplissant cependant en fonction de sa nature et suivant des lois propres à cet être » (p. 616).

Combien cette dernière « supposition » de la science se rapproche des enseignements de la Philosophie Occulte ! C'est ce qui sera démontré dans la seconde partie de cet article. En attendant, terminons par cette réponse au dernier sophisme matérialiste que nous résumons en quelques mots. Comme toute action psychique a pour substratum les éléments nerveux dont elle implique l'existence, et sans lesquels elle ne peut se manifester, comme de plus, l'activité des éléments nerveux se résume en mouvement moléculaire, il n'existe aucune nécessité d'inventer une Force psychique spéciale pour expliquer notre travail cérébral. Le libre arbitre obligerait la science à postuler l'existence d'un Être invisible exerçant ce libre arbitre, d'un créateur de cette Force spéciale.

Nous sommes d'accord : il n'y a pas « la moindre nécessité » d'un créateur de « cette Force spéciale » ou de n'importe quelle autre. Et personne n'a jamais prétendu une telle absurdité. Mais il y a une différence entre « créer » et « guider » , et ceci, n'implique pas du tout une création de l'énergie du mouvement ou, en fait, de toute autre énergie spéciale. Le mental psychique (par opposition au mental manasique, ou noétique) ne fait que transformer l'énergie de l' « être unitaire » en fonction de « sa nature, et suivant des lois propres à cet être » — pour employer l'heureuse expression de Ladd : « L'être unitaire » ne crée rien, mais il produit une corrélation naturelle de forces, en accord avec les lois physiques et les lois qui lui sont propres ; ayant à faire usage de cette Force il la dirige, choisissant les voies qu'elle devra prendre et stimulant son activité. Et, comme son activité est sui generis et indépendante, il transfère cette énergie de notre monde de discordance dans sa propre sphère d'harmonie. Si elle n'était pas indépendante, il ne pourrait le faire. Mais comme elle l'est, la liberté de la volonté de l'homme est en dehors de tout doute ou discussion. Ainsi, comme nous l'avons déjà fait observer, il n'est pas question de création mais simplement de direction. Dirons-nous, parce que le marin qui est à la barre ne crée pas la vapeur de la chaudière, qu'il ne dirige pas le vaisseau ?

Et, en nous refusant à accepter les sophismes de certains psycho-physiologistes comme le dernier mot de la science, donnons-nous une nouvelle preuve que le libre arbitre est une hallucination ? Nous rejetons la conception animaliste. Combien plus scientifique et plus logique, tout en étant aussi poétique que grandiose, est l'enseignement de la Kathopanishad qui, en une belle métaphore descriptive, explique que « les sens sont les chevaux, le corps est le char, le mental (kâma-manas) est les rênes, et l'intellect (ou libre arbitre) est le conducteur » . Vraiment, il y a plus de science exacte dans la moindre des Upanishad, composée il y a des milliers d'années, que dans toutes les divagations matérialistes de la « physico-biologie » et de la « psychophysiologie » modernes réunies !

(à suivre)

 

[1] Nous disons « prétendus » parce que rien de ce qui a été divulgué au public, ou imprimé, ne peut plus être appelé ésotérique.

[2] ) « Animalisme » est le mot exactement approprié (peu importe qui l'inventa) par opposition au terme « animisme » de M. Tylor, qu'il applique à toutes les « races inférieures » de l'humanité qui croient en l'âme comme en une entité distincte. Il trouve que les mots psyché, pneuma, animus, spiritus, etc., appartiennent tous au même cycle de superstition, « aux stades inférieurs de civilisation » , le Professeur A. Bain, allant jusqu'à appeler toutes ces distinctions, une « pluralité d'âmes » ou un « double matérialisme » . Ceci est d'autant plus curieux que le savant auteur de l'ouvrage Le Mental et le Corps parle avec autant de dédain du « matérialisme »  de Darwin dans Zoonomia, ouvrage où le fondateur de l'Évolution moderne définit le mot idée comme « un mouvement de contraction dans la disposition des fibres qui constituent l'organe immédiat de la sensation ».

[3] Psychologie physiologique, etc., p. 545, par George T. Ladd, Professeur de Philosophie à l'Université de Yale.

[4] Ou ce que les cabalistes appellent nephesh, le « souffle de vie ».

[5] Le terme sanskrit Manas (Mental) est employé de préférence au mot grec nous (noétique) étant donné que celui-ci a été mal compris en philosophie et ne suggère aucune signification définie.

[6] The Theosophist, février 1888, p. 275, par Rama Prasad, Président de la Société Théosophique de Meerut. Voici ce que dit le livre occulte qu'il cite : « C'est le Svara qui a donné forme aux premières accumulations des divisions de l'univers ; le Svara est la cause de l'évolution et de l'involution ; le Svara est Dieu, ou plus exactement le Grand Pouvoir lui-même (Maheshvara). Le Svara est la manifestation de l'impression produite sur la matière par ce pouvoir qui, dans l'homme, est le pouvoir qui se connaît lui-même (la conscience mentale et psychique). Il faut comprendre que l'action de ce pouvoir est incessante... C'est l'existence immuable » et c'est là le « Mouvement » des Savants et le Souffle de Vie universel des Occultistes

[7] « Le Mécanisme animal », traité de locomotion terrestre et aérienne par E.J. Marey, Professeur au Collège de France et membre de l'Académie de Médecine.

[8] Le Manas supérieur ou Ego (kshetrajña) est le « Spectateur Silencieux » et la « victime sacrificatoire » volontaire ; le manas inférieur, son représentant, n'est en vérité qu'un despote tyrannique.

[9] Éléments of Physiotogical Psychology (Traité des activités et de la nature du mental, du point de vue physique et expérimental), pages 606 et 613

[10] W. Lawrence : Conférences sur l'Anatomie comparée, la Physiologie, ta Zoologie et l'Histoire Naturelle de l'Homme, in-8°. Londres, 1848, p. 6.

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