Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

Disciples et Discipline, B.P. Wadia

[Traduction de l’article « Disciples and Discipline ». Revue  Theosophy, VII, août 1919 – pp 307-310]

Tout homme désire la connaissance et, dans une certaine mesure, il fait des efforts, dans une direction quelconque, pour l’acquérir. C’est cela l’état du disciple, car le terme disciple signifie simplement apprenti.

Il y a dans le monde, de nombreux dévots, ou disciples, en quête de la connaissance. Ceux qui étudient les différentes techniques et sciences s’efforcent de comprendre la nature et l’action des différents éléments chimiques, ainsi que les nombreuses forces et énergies qui composent la nature physique dans sa totalité. D’autres formes de connaissance sont étudiées par une autre catégorie d’élèves. Ils font tous des progrès, chacun selon la force de son désir, la constitution de sa propre nature, ainsi que les moyens mis en œuvre.  

Nous observons en nous-mêmes, et chez les autres, que les taux de progrès et d’acquisition dépendent, en premier lieu, de l’intensité de notre désir. Cette intensité peut atteindre un tel degré qu’elle arrive à une concentration permanente dans le sens recherché ; dans ce cas, le courant entier des énergies est orienté dans une seule direction, au point où tous les autres objectifs deviennent mineurs et subsidiaires, en ne servant finalement que de nourriture et de carburant pour atteindre l’unique grand objectif.

Nombreux sont ceux qui ont possédé cette force de concentration et d’énergie fixée sur un seul objectif et l’ont ainsi réalisé, pour ne s’apercevoir, finalement, que de l’absence de toute valeur attribuable à l’objectif lui-même. « L’orgueil de l’héraldique, la pompe du pouvoir, et tout ce que la beauté, tout ce que la richesse a jamais pu donner, attendent de la même manière l’heure inévitable ; les sentiers de la gloire ne mènent qu’à la tombe. » Le succès engendre la satiété ; la satiété l’autosatisfaction et de là on récolte l’échec et le découragement ; le découragement génère le désespoir, et le désespoir la mort.

Par des succès et des échecs répétés, Arjuna a compris que tout objet terrestre recherché quel qu’il soit, ne peut apporter rien d’autre qu’un simple bonheur temporaire, et au moment critique où il sombre dans le désespoir, il se pose à lui-même la question la plus ancienne et la plus embarrassante au monde : quelle est l’utilité de quoi que ce soit ?

Et la réponse lui vient de l’intérieur de lui-même, car Krishna représente le Soi Supérieur en chacun – l’aspect le plus profond, la partie la plus mystérieuse et la plus durable en nous. L’Âme immortelle doit rechercher un but également durable, si jamais elle veut réaliser la connaissance suprême, le pouvoir suprême, la félicité suprême. Et ce but suprême n’est rien d’autre que l’Âme elle-même. Voilà ce que signifie l’expression « connaissance spirituelle. » Car, alors que la connaissance spirituelle embrasse en vérité toutes les actions sans exception, et par conséquent l’ensemble de ce que nous appelons la nature, en elle-même n’est rien de tout ce qu’elle embrasse ou inclut. Elle inclut toutes les choses, car toutes les choses émanent de l’Âme, mais la connaissance spirituelle, pure et simple, est la connaissance de l’Âme qui est l’agent créateur de tout, le préservateur, et le destructeur de tout dans la nature. Tout ce qui se trouve dans la nature embrasse beaucoup plus d’actions et de choses que celles auxquelles nous nous intéressons ou dont nous avons connaissance actuellement, ou encore qui sont les objets de nos désirs et de notre dévotion. Peu importe le degré élevé ou la valeur que de tels objets peuvent sembler avoir pour nous dans nos rêves, et dans nos aspirations, après recherche, découverte et réalisation de ces objets, ils apparaîtront comme illusoires, inconsistants, comme autant de poussières et de cendres dans la bouche, que le sont tous les autres objets après lesquels courent les hommes actuellement. Ils ne peuvent jamais apporter la satisfaction à l’Âme, car ils sont finis et temporaires dans leur nature, alors que l’Âme qui cherche à les obtenir est illimitée et éternelle dans sa nature.

En fait, la connaissance spirituelle, ou la connaissance de l’Âme, est ce que, tôt ou tard, chaque Âme devra parvenir à voir, comme le seul objectif digne d’intérêt, auquel tous les autres objectifs sont subordonnés, c'est-à-dire simplement des voies et des moyens, comme des degrés de l’échelle permettant de s’élever jusqu’à la réalisation de l’Âme.

Quand un être a atteint cet état mental, ou ce stade d’évolution de son Âme, il peut être réellement appelé Disciple de la Religion-Sagesse, ou Théosophie, ou encore Connaissance Spirituelle, car toutes ces expressions désignent la même chose. Personne ne fait de lui un disciple ou le choisit comme tel. Il le devient en raison de sa croissance et de son expérience. Le véritable Théosophe, ou disciple, n’est pas tel, en raison de son association à une organisation théosophique, ou par la lecture de livres, de professions de foi, ou par une observance ou pratique extérieure quelconque ; ni par ce qu’il possède, ni par ce qui lui manque, mais par ce qu’il est.

Est disciple de la Connaissance Spirituelle, ou Théosophie, celui qui, en premier lieu, le désire profondément et ardemment, et, par suite, fait des efforts en vue de l’acquisition, et, à ce stade, nous en venons à la question des voies et des moyens à employer. Car il ne suffit pas d’avoir choisi un objectif, le meilleur fût-il. L’effort est requis et cet effort doit être soutenu et orienté dans la bonne direction.

Le quatrième chapitre de la Bhagavad-Gîtâ passe en revue les nombreuses sortes de disciples, à l’essai, ou probationnaires – ceux qui désirent réellement la connaissance spirituelle, mais dont les efforts sont, en fait, mal dirigés. Ils obtiennent tous quelque chose, car tout effort dans une direction quelconque produit des résultats, mais ces pseudo-disciples manquent le grand But. Alors, que gagnent-t-ils donc ? La Bhagavad-Gîtâ déclare que « tous ces différents types d’adorateurs sont, par leurs sacrifices, purifiés de leurs péchés » [B.G., IV, 30]. En langue usuelle, cela revient à dire qu’ils finissent tous par découvrir leur erreur. Découvrir qu’on s’est égaré n’est pas un motif de découragement ; pour l’Âme sincère, c’est l’occasion d’exprimer de la gratitude. Mais ce bénéfice, aussi grand soit-il, est négatif : découvrir que nous nous sommes trompés quant à notre objectif, ou à la direction que devrait emprunter notre dévotion, ne signifie pas découvrir en soi le véritable but ou la vraie méthode.

Mais, après bien des efforts et des échecs dans le choix de notre objectif ou les moyens pour y parvenir, nous apprenons un peu d’humilité, et c’est alors que nous pouvons entendre la voix du Soi Supérieur et fixer pour nous-mêmes le véritable but et la vraie dévotion, ou les moyens de sa réalisation. Ainsi, à la fin du chapitre, Krishna conclut en disant qu’à partir du moment où la Connaissance Spirituelle a été choisie comme le seul objet à atteindre, il faut chercher à l’obtenir, « par le service, par une puissance recherche, et au moyen des questions et de l’humilité » [B.G., IV, 34].

Y parvenir requiert de la discipline, c'est-à-dire la méthode par laquelle le disciple parvient à apprendre. La Discipline par qui, et exercée sur qui ? Par chacun et sur soi-même.

Celui qui cherche à apprendre, ce qu’il cherche à apprendre, et ce qu’il récolte en apprenant, c’est la même chose. C’est l’âme qui cherche, l’âme qui est étudiée, et l’âme qui se développe par l’apprentissage. « C’est la sagesse même, l’objet de la sagesse, et ce qui doit être obtenu par la sagesse » [B.G., XIII, 17]. C’est là le grand mystère.

« Rendre service » ne peut signifier qu’utiliser notre environnement, notre corps, notre mental, nos pouvoirs, facultés et possessions en tout genre, acquis à ce jour, comme moyens de dévotion, et non comme son but. Ils ne constituent pas l’Âme, mais ses instruments. Toutes ces choses que nous appelons notre « soi » ne sont pas notre Soi. Ce qui est désigné par de nombreux termes dans la Bhagavad-Gîtâ, comme Seigneur, Îshwara, l’Esprit, l’Âme, le Soi Supérieur, Kshetrajña, Paramâtma, etc., c’est l’Homme réel qu’est chacun de nous, mais que nous ne reconnaissons pas – c’est le Krishna en chacun. Arjuna, le « soi inférieur » ou simplement le « soi, » est ce que nous pensons être – la « personnalité ». Ainsi, la Bhagavad-Gîtâ déclare, « Il devrait élever le soi par le Soi ; sans jamais souffrir l’avilissement du Soi ; car le Soi est l’ami du soi, et, également, le soi est son propre ennemi » [B.G., VI, 5].

Nos habitudes, instincts, pulsions et désirs, nos préférences et aversions, nos vertus et vices, nos succès et échecs, nos idées et émotions tout cela n’est pas notre Soi. Cependant ils sont constamment en train de s’éveiller en nous ou déjà éveillés, et nous poussent soit dans une direction soit dans une autre, et nous-mêmes, le Soi réel, est rabaissé, tiré vers le bas, rendu ainsi leur serviteur et esclave. Nous devons mettre un terme à tout cela par un changement. Certains doivent être détruits, car ils sont en eux-mêmes destructeurs – le « soi en tant que son propre ennemi. » D’autres sont de bons outils et instruments prêts entre nos mains, mais doivent être utilisés en tant que serviteurs, non pas comme maîtres. Ce qui est donc requis c’est d’adopter la position du Soi Supérieur et de maintenir cette attitude en se servant du soi inférieur.

« Chaque homme, » dit la Lumière sur le Sentier [pp. 16/17], « est à lui-même, d’une façon absolue, la voie, la vérité, et la vie. Mais il n’est cela que lorsqu’il saisit fermement toute son individualité (le soi inférieur) et que par la force de sa volonté spirituelle éveillée (le Soi Supérieur) il réalise que cette individualité n’est pas lui-même, mais une chose qu’il a créée avec peine pour son propre usage, et grâce à laquelle il se propose, à mesure que sa croissance développe lentement son intelligence, d’atteindre à la vie qui transcende l’individualité (la personnalité) ».

Nous devons arriver à comprendre que ce que nous recherchons, et ce que nous sommes réellement, sont une seule et même chose, et ensuite appliquer cette perception à l’ensemble de notre nature entière. « La nature entière de l’homme » n’est pas lui-même, mais, « cette chose qu’il a créée avec peine » au fil de sa longue évolution, et qui doit être maintenant « utilisée sagement par celui qui désire entrer sur la voie ». Par cet usage, « les vices de l’homme deviennent un à un, des degrés de l’échelle, à mesure qu’ils sont surmontés ». « Les vertus de l’homme sont elles aussi des échelons nécessaires » mais « elles sont inutiles » « si elles existent seules » dans la réalisation du grand But. « Elles ne font que purifier l’adorateur de ses péchés, » « elles ne créent qu’une atmosphère agréable et un avenir heureux », et ne confèrent pas de connaissance [voir, L.S., pp. 16 à 19].

 Notre service consiste donc à surmonter nos vices, en les transformant en vertus, et d’employer nos vertus actuelles, et celles à venir, dans une « puissante recherche, » c'est-à-dire en cherchant la voie, et, comme cette voie est l’homme lui-même, elle doit être suivie dans un double sens. Nos relations sont à la fois externes et internes. Ainsi donc la Lumière sur le Sentier déclare [p. 15] : « Cherche la voie en te retirant au-dedans. Cherche la voie en avançant hardiment au dehors. »

Nous devons nous tourner vers nos devoirs quotidiens, pour apporter nos succès et échecs, personnes et choses agréables et désagréables que nous pouvons rencontrer, avec un cœur intrépide, une foi ferme, et une confiance inébranlable dans le « Soi Supérieur », en nous et en toutes choses, et « accomplir les actions qui conviennent. » Non pas celles que le soi inférieur en nous désire ; non pas ce qu’une tierce personne ressent, ou pense, ou voudrait nous voir accomplir ; mais ce que nous trouvons nécessaire à faire, à la lumière du Soi Supérieur qui est en nous. Voilà ce que sont les relations extérieures tournées vers le service. Nous devons nous retourner avec soin à l’intérieur en vue d’ajuster nos relations internes ; nos pensées, sentiments et désirs, en demandant constamment à notre Soi pourquoi nous avons fait, dit, pensé ou ressenti quoi que ce soit. Nos relations extérieures sont nos affaires, ou nos échanges dans la vie. Nos relations intérieures sont ce dont nous devons prendre note et rendre compte. Les deux vont ensemble et à chaque instant pèsent sur la balance de l’Âme, que ce soit vers le haut ou vers le bas.

Tel est chaque disciple vis-à-vis de lui-même. Personne d’autre ne peut faire de lui un disciple ; personne d’autre ne peut l’empêcher ou lui interdire d’en être un. Faire de soi-même un disciple c’est ce qui compte du début à la fin. Dans le même ordre d’idée, personne d’autre ne peut le discipliner, ou empêcher son engagement et sa poursuite de la discipline. C’est à jamais l’autodiscipline, s’il s’agit d’éprouver « la voie, la vérité, et la vie ».

Celui qui recherche des résultats cherche Karma. Karma ne fait que reproduire Karma sans cesse. Karma est le moyen qui mène à la connaissance, et non la connaissance elle-même. La discipline imposée de l’extérieur, les limitations et les contrôles que nous expérimentons tous, ne confèrent qu’un avantage négatif – ils rejettent l’Âme sur elle-même, et mettent en relief l’ignorance et la mauvaise compréhension de l’homme. L’autodiscipline lui montre ce qui se cache derrière chaque action, ainsi que derrière tous les résultats – l’Âme. Derrière toutes ses actions et expériences se trouve l’être réel – le Soi Supérieur. À mesure que ce Soi Supérieur en lui, et chez tous les autres, est servi, recherché, interrogé, les portes intérieures s’ouvrent, et avec elle, s’exprime la vraie Fraternité – l’« humilité », dans le langage de la Bhagavad-Gîtâ qui va caractériser de plus en plus l’utilisation de sa nature tout entière. Il vient en contact avec ceux qui sont plus sages que lui, ceux « qui voient la vérité, » et il la lui « communiquent intérieurement. » Il est capable de la recevoir, car il découvre cette connaissance spirituelle « jaillissant spontanément en lui-même » [B.G., IV, 34/38].

« Quelle place peut-il donc y avoir pour la tristesse, et quelle place pour le doute, dans le cœur de celui qui voit et sait que toutes les créatures sont de la même essence, et ne différent qu’en degré ? »

Voilà ce qu’on entend par la Connaissance Spirituelle, et elle ne vient que chez celui qui se constitue lui-même disciple, qui s’impose l’autodiscipline.

[Remarque : Les références dans la Bhagavad-Gîtâ et la Lumière sur le Sentier, sont tirées des ouvrages édités par Textes Théosophiques, à Paris et disponibles en ligne sur le site www.theosophie.fr.]

Partager cette page
Repost0
Published by theosophie-tarentaise.over-blog.com

theosophie-tarentaise

Programme et activités du Groupe d'Etude Théosophique en Tarentaise

Recherche

Pages

Catégories